Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souriant. Maintenant sois consolée, pauvre âme ! Il est vrai que j’ai reçu les ordres les plus sévères contre ceux qui pendant leur vie se sont occupés de philosophie, surtout de la philosophie athée des Allemands; je dois les chasser d’ici ignominieusement, à coups de fouet. Pourtant, je te le répète, c’est aujourd’hui mon jour de fête : tu ne seras pas chassée, je t’ouvre les portes du paradis, entre vite !

« Te voilà en sûreté; bon! Pendant toute la journée, depuis le matin de bonne heure jusqu’au soir bien tard, tu peux te promener dans le ciel et flâner en rêvant par les rues pavées de diamans; mais, sache-le, ici tu ne dois jamais t’occuper de philosophie; tu me compromettrais terriblement. Si tu entends chanter les anges, fais une grimace de béatitude; si c’est un archange qui a chanté, sois tout pénétré d’enthousiasme, et dis-lui que jamais la Malibran n’a possédé un pareil soprano. Applaudis toujours aussi la voix des chérubins et des séraphins; compare-les à Rubini, à Mario, à Tamburini, donne-leur le titre d’excellences, et fais-leur maintes révérences cérémonieuses. Les chanteurs, au ciel comme sur la terre, veulent tous être flattés. Lui-même, en ces régions sublimes où nous sommes, le maître de chapelle des mondes aime à entendre louer ses œuvres; il aime qu’on chante les louanges du Seigneur Dieu, il aime qu’un psaume à son honneur et à sa gloire retentisse au milieu des plus épais nuages d’encens.

« Ne m’oublie pas. Si quelque jour tu t’ennuies des magnificences du ciel, viens me trouver; nous jouerons aux cartes. Je connais toutes les espèces de jeux, depuis le lansquenet jusqu’au pharaon. Nous boirons aussi... Mais, à propos ! si par hasard le bon Dieu te rencontre et qu’il te demande d’où tu es, ne dis pas que tu es de Berlin, dis plutôt que tu es de Munich ou de Vienne. »

XI.
LES FIANCÉS PRÉDESTINÉS.

Tu pleures, tu me regardes, et tu t’imagines que c’est ma misère qui te fait pleurer. Tu ne sais pas, femme, qu’elles coulent pour toi-même, ces larmes que versent tes yeux.

Oh! dis-moi, ton cœur n’a-t-il jamais eu un soupçon, une lueur subite, te révélant que la volonté du sort nous avait destinés l’un à l’autre ? Unis, ce devait être pour nous le bonheur; séparés, c’était la ruine.

Il était écrit dans le grand livre que nous devions nous aimer. Ta place était sur ma poitrine; c’est là que se serait éveillée la conscience de ton être, c’est moi qui t’aurais délivrée des liens de l’existence végétale, ô douce fleur; je t’en aurais émancipée par mes baisers, je t’aurais élevée vers moi, élevée vers la suprême vie, je t’aurais donné une âme !

Maintenant que toutes les énigmes sont dévoilées, maintenant que le sable achève de s’écouler dans le sablier, oh ! ne pleure pas; cela devait être ainsi. Je m’en vais, et toi, restée seule, tu vas te flétrir; tu vas te flétrir avant de t’être épanouie, tu vas t’éteindre avant d’avoir été enflammée; tu vas mourir, tu es morte, avant d’avoir vécu !

Je le sais maintenant. Oui, par Dieu, c’est toi que j’ai aimée. Quelle