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l’enthousiasme de ses idées elle a donné cette nuit son premier concert d’hiver sur le toit.

Effroyable fut l’exécution de la grande pensée, du programme pompeux.

— Pends-toi, mon cher Berlioz, tu n’y étais pas !

C’était un charivari, comme si trente-six joueurs de cornemuse enivrés d’eau-de-vie eussent commencé leur bastringue.

C’était un tohu-bohu comme si dans l’arche de Noé tous les animaux à l’unisson eussent entonné le chant du déluge.

Oh ! quels croassemens ! quels hurlemens ! quels grognemens ! quels miaulemens ! Les vieux tuyaux de cheminée se mettaient de la partie et ronflaient des chorals d’église.

On distinguait surtout une certaine voix à la fois criarde et terne, comme était la voix de la Sontag quand elle n’avait plus de voix.

Quel concert diabolique ! je crois qu’on chantait un grand Te Deum pour célébrer la victoire du délire sur le bon sens.

Peut-être aussi la société des matous faisait-elle la répétition du grand opéra que le plus grand pianiste de Hongrie a composé pour Charenton.

Ce n’est qu’au point du jour que le sabbat a fini. Il a été cause qu’une cuisinière enceinte est accouchée avant terme.

La pauvre accouchée, devenue folle, a complètement perdu la mémoire ; elle ne sait plus quel est le père de son enfant.

Était-ce Pierre ? était-ce Paul ? Dis-nous, Lise, quel est le père de l’enfant ? Lise sourit, transfigurée par la béatitude, et s’écrie : Liszt ! ô matou céleste !

XVII.
L’AUDIENCE (vieille fable).

Je n’ai pas fait, comme Pharaon, noyer les enfans dans les flots du Nil ; je ne suis pas non plus un tyran Hérode, un massacreur de petits innocens.

Je veux, comme autrefois mon Sauveur, me rafraîchir par la vue des enfans ; laissez venir à moi les petits enfans, et même le grand enfant de la Souabe.

Ainsi parla le roi. Le chambellan courut et revint, amenant le grand enfant de la Souabe, qui se mit à faire sa révérence.

Le roi lui dit : N’es-tu pas un Souabe ? Ce n’est pas une honte. — Bien deviné ! dit le Souabe ; je suis né dans le pays souabe.

— Descends-tu des sept Souabes ? lui demanda le roi. — Je ne descends que d’un seul d’entre eux, répond le Souabe, mais non de tous les sept à la fois.

Le roi continue : Les nouilles souabes sont-elles bien venues cette année ? — Merci pour elles, dit le Souabe ; elles sont très bien venues.

Avez-vous encore de grands hommes ? dit le roi. — En ce moment, dit le Souabe, il n’y en a pas de grands ; il n’y en a que de gros.

— Menzel, ajoute le roi, a-t-il encore reçu beaucoup de soufflets ? — Merci pour lui, dit le Souabe ; il en a encore assez de ceux qu’il a reçus autrefois.

Le roi dit : Tu n’es pas aussi bête que tu en as l’air, mon ami. — Cela vient, dit le Souabe, de ce que les Kobolds m’ont changé en nourrice.