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Le roi dit : Les Souabes aiment leur pays; qui t’a décidé à quitter le foyer natal ?

Le Souabe répond : Je n’avais à manger tous les jours que de la choucroûte et des navets; si ma mère m’avait servi de la viande, je serais resté.

— Demande-moi une grâce, dit le roi. — Le Souabe s’agenouille et s’écrie : Oh ! rendez, sire, rendez au peuple allemand la liberté !

L’homme est né libre; la nature ne l’a pas créé pour en faire un valet. Sire, restituez les droits de l’homme au peuple allemand !

Le roi était profondément ébranlé. C’était une belle scène. Avec la manche de son habit, le Souabe essuyait les larmes de ses yeux.

Le roi dit enfin : Un beau rêve! Adieu. Sois moins niais à l’avenir. Comme tu es un peu somnambule, je te donne deux compagnons pour te protéger.

Deux gendarmes très sûrs qui te conduiront jusqu’à la frontière. Adieu; il faut que j’aille à la parade. J’entends déjà les tambours qui battent.

Telle fut la fin touchante de cette touchante audience. Depuis ce jour-là, le roi ne fit plus venir à lui les petits enfans.

XVIII.
COBÈS PREMIER.

En l’année quarante-huit, au moment de la grande effervescence, le parlement du peuple allemand tenait séance à Francfort.

Alors aussi apparaissait souvent dans le palais du Roemer la dame blanche, fantôme aux présages sinistres : elle est connue sous le nom de la Sommelière.

On dit qu’elle se montre la nuit au Roemer chaque fois que les chers Allemands vont commettre quelque grosse sottise.

Je l’ai vue là moi-même à cette époque, je l’ai vue pendant les nuits silencieuses, parcourant les salles vides où est entassé le bric-à-brac du moyen âge.

Elle tenait dans ses pâles mains une lampe et un trousseau de clés. Elle ouvrait les grands bahuts et les armoires des murailles.

Là sont gardés les insignes de la dignité impériale, la bulle d’or, le sceptre, la couronne, la main de justice, la pomme de l’empire, et mainte drôlerie du même genre.

Là est tout l’antique habillement impérial, les vieilleries de pourpre fanée, enfin la garde-robe de l’empire d’Allemagne, aujourd’hui rouillée et moisie.

La Sommelière, à cette vue, branle tristement la tête, et soudain elle s’écrie avec dégoût : Tout cela pue horriblement !

Tout cela sent les crottes de rats, tout cela est gâté, pourri, et-dans ces fiers oripeaux fourmille aujourd’hui la vermine.

Il paraît que sur cette hermine, sur ce vieux manteau du couronnement, toutes les chattes du quartier du Roemer sont venues faire leurs couches.

Épousseter tout cela ne servirait de rien. Que Dieu ait pitié du futur empereur! Le manteau du couronnement lui donnera des puces pour sa vie entière.

Et vous le savez, lorsque l’empereur a une démangeaison, tous les