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Si Cobès devient empereur, il ressuscitera certainement les Funken. La vaillante troupe entourera son trône en qualité de garde impériale.

Il pourrait bien lui prendre fantaisie d’envahir la France à leur tête, pour rendre à l’Allemagne l’Alsace, la Bourgogne et la Lorraine.

Ne craignez rien cependant, il restera chez lui ; une mission pacifique l’enchaîne : c’est l’accomplissement d’une grande idée, l’achèvement de la cathédrale de Cologne !

Mais sitôt la cathédrale achevée, Cobès se fâchera, et l’épée à la main il demandera des comptes aux Français.

Il leur prendra l’Alsace et la Lorraine et en fera la restitution à l’empire ; il entrera aussi en vainqueur dans les champs de la Bourgogne — sitôt la cathédrale achevée !

Allemands, si vous persistez dans vos désirs, si vous voulez absolument un empereur, que ce soit un empereur du carnaval de Cologne, et qu’il s’appelle Cobès Ier !

Les fous de la joyeuse société du carnaval de Cologne, avec leurs marottes sonores, seront ses ministres ; il portera dans ses armes un bas tricoté.

Drickès sera chancelier de l’empire et s’appellera le comte Drickès de Drickeshausen. La maîtresse d’état Marizebill[1] sera chargée de nettoyer la chevelure de l’empereur.

Cobès résidera dans sa bonne, dans sa sainte ville de Cologne. Dès que les habitans de Cologne sauront cette joyeuse aventure, ils feront une illumination.

Écoutez ! les cloches, ces chiens d’airain qui aboient dans l’air, poussent déjà des hurlemens de joie, et les rois mages de l’Orient s’éveillent dans leurs chapelles.

Ils s’avancent en faisant claquer leurs ossemens, et Ils dansent d’allégresse, et ils gambadent. Je les entends chanter Alleluia et Kyrie eleison.

Ainsi parla le blanc fantôme de la nuit, et il éclata de rire à plein gosier. L’écho répéta lugubrement son rire à travers les salles retentissantes.

XIX.
ÉPILOGUE.

La gloire réchauffe notre cercueil. Folies et sottises que tout cela ! Mieux valent, pour nous réchauffer, les lourdes caresses d’une vachère amoureuse. Mieux vaut aussi, pour nous réchauffer les entrailles, mieux vaut boire largement du vin chaud, du punch et du grog, même au fond des plus ignobles tavernes, au milieu de voleurs et de vagabonds échappés à la potence, mais qui vivent, qui respirent, qui ronflent, et qui sont plus dignes d’envie que le glorieux enfant de Thétis. Le fils de Pelée l’a dit avec raison : vivre en haut, sur la terre, comme le plus misérable des valets, cela vaut mieux que d’être aux bords du Styx un chef des ombres et un héros, fût-ce même un des héros qu’a célébrés Homère !


HENRI HEINE.

  1. Drickès et Marizebill sont des masques populaires du carnaval de Cologne.