Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les nuages de la mer que nous apercevons de Paris sont élevés de 3 kilomètres au-dessus de l’Océan, et ce sont les plus élevés de ces nuages, ou ceux que le vent apporte vers nous, qui produisent ces figures si variées de montagnes, de poissons, d’animaux et d’êtres fantastiques que l’on contemple agréablement le soir sur un fond éclatant et enrichi de toutes les teintes que donne la diffraction de la lumière.

Considéré dans de petites épaisseurs, l’air nous semble parfaitement transparent ; mais dans ces vastes perspectives la moindre influence météorologique de chaud, de froid ou d’humidité agit aussitôt sur sa transparence et sur sa couleur ; c’est donc un voile coloré qui s’interpose entre les objets et notre œil. Lorsque le soleil illumine certains nuages, ils se projettent sur le fond du ciel avec une richesse de couleur qui rappelle les admirables vitraux de Saint-Maclou ou de Saint-Patrice à Rouen. Lorsqu’à côté de ces vitraux on met un tableau à l’huile, il paraît d’un terne repoussant, et lorsque les peintres, par un beau jour d’été, sont au milieu de ce paysage étincelant de Quillebœuf, leur palette ne leur fournit aucun moyen de rendre la splendeur du ciel et des eaux. Rapportées à Paris, leurs peintures paraissent invraisemblables, comme les ciels bleus de Raphaël le paraissent à ceux qui n’ont pas vu l’Italie. Si des hauteurs de la falaise qui domine le port on contemple au soleil levant un arc-en-ciel dont l’arche en plein-cintre semble poser un de ses pieds sur un bord du fleuve et l’autre sur le bord opposé, alors le tableau est si merveilleux, qu’il n’est point d’homme rebelle aux beautés de la nature qui ne contemple avec ravissement cette double écharpe de couleurs splendides. Tout prend ici un caractère grandiose. Qu’un orage accompagné de foudre vienne à éclater sous des nuages lourds et bas, les immenses lointains que chaque éclair révèle à la vue rappellent les descriptions que les Arabes donnent de la foudre dans le désert, où, suivant leur expression, « à un éblouissement subit succède un aveuglement plus subit encore. » Lorsqu’avec l’instrument que les physiciens nomment polariscope on jette sur le fond du ciel ces bandes colorées, brillantes, qui résultent de l’illumination de l’atmosphère, on découvre dans le ciel certains points qui échappent à la polarisation : ces points sont désignés sous le nom de points neutres. M. Arago en a découvert un à l’opposé du soleil. Nous-même, en contemplant, à Étretat, au Havre et à Quillebœuf, l’Atlantique éclairé des derniers feux du jour, nous en avons découvert un second, situé au-dessus du soleil. Enfin l’illustre physicien anglais M. Brewster est parvenu à en découvrir un troisième, très difficile du reste à reconnaître, et qui est situé au-dessous du soleil, quand celui-ci est médiocrement élevé sur l’horizon.