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Si l’on voulait passer en revue, dans la région où nous sommes placé, tous les effets de nuages, de brouillards, de troubles dans l’air, tant pour le paysage que pour l’aspect du soleil et de la lune, un volume entier ne suffirait pas à en comprendre toutes les descriptions. Les météores aériens, c’est-à-dire les vents, ne se prononcent guère que du côté de la mer ; mais de là ils arrivent sans obstacle jusqu’au promontoire qui s’avance en face de l’embouchure de la Seine. Parfois les gouttes de pluie et les rejaillissemens des vagues du fleuve sont poussés par le vent avec une force telle que, sur la figure et même sur les mains, ils font l’effet de petits cailloux lancés avec force. Dans une grande marée d’équinoxe, lorsque la mer, soulevée par le vent d’ouest, le zéphyre d’Homère, pousse ses lames sur la plage, rien ne résiste à sa furie. Ce fut dans une de ces convulsions de l’air et des eaux que fut démoli le presbytère de Quillebœuf, situé alors presque sur la grève en face de l’Atlantique, et que depuis on a rebâti prudemment un peu plus loin, hors des atteintes de l’Océan et du zéphyre. Tous ceux qui sur les montagnes, sur les rives des mers, dans les plaines, dans les vallées, ont vérifié les descriptions d’Homère ont admiré la fidélité scrupuleuse des tableaux de ce grand peintre de la nature, que le plus stupide des contresens a pu seul nous donner comme aveugle. Ce vent d’ouest est représenté par Homère avec ses caractères véritables ; ce n’est point le vent léger et sans force qui joue et folâtre au printemps avec Flore dans les compositions galantes du siècle de Louis XV : c’est le violent zéphyre, le vent au souffle pernicieux, celui auquel les autres ne résistent pas ; c’est le zéphyre au sifflement aigu qui pousse devant lui la tempête et soulève les flots. Or tels sont encore les caractères de notre vent d’ouest ou zéphyre français, vent dominant de l’Europe. Il y a longtemps qu’Auguste lui élevait un temple dans les environs de Narbonne, pour l’engager à lui souffler moins fort dans les oreilles. Sur les côtes de Bretagne, ce vent désastreux rase la tête de tous les arbres à la hauteur des abris. Tous les pommiers de Normandie ont le tronc penché du côté opposé à la mer par la violence et la persistance de ce vent. À Paris même, les allées du Luxembourg, dans la partie voisine de la pépinière, qui n’est abritée que depuis peu d’années par des constructions élevées à l’ouest du jardin, offrent des arbres inclinés vers l’est par l’effort du vent qui arrive du côté opposé.

Nous pénétrons si peu avant dans le mécanisme de la nature, que souvent nous nous plaignons des agens physiques qui nous sont le plus utiles. Ainsi ce même vent d’ouest qui incommodait si fort Auguste dans les environs de Narbonne, et qui arrivait de l’Océan, par-dessus les vallées de la Garonne et de l’Aude, pour incliner les arbres du littoral vers la Méditerranée ; ce même vent, qui sur les