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je conquerrai pour la culture des centaines d’hectares, dont la fertilité future honorera encore mes projets accomplis. — Il l’a pensé, et il l’exécute. L’astronomie lui donne la mesure de l’effort des eaux de l’Océan, la physique les propriétés des matériaux qu’il doit employer et des agens qu’il doit combattre, la mécanique les moyens d’exploitation et de transport. Enfin il n’est pas jusqu’au terrible mélange chimique que le génie destructeur de la guerre a amené sur les champs de bataille, que l’homme n’ait plié à des usages philanthropiques. Avec la poudre de mine, il fait voler en gros éclats les falaises abruptes, dont les rocs détachés sont ensuite voitures par de petites voies de fer improvisées jusqu’au point où elles doivent être submergées pour former plus tard une rive artificielle au bassin amélioré du fleuve. Depuis plusieurs années, des phares à feux fixes et à éclipses, des feux de port et de petits fanaux éclairent l’extrême cours de la Seine et les côtes voisines de l’Océan. Un philosophe de l’antiquité abordant une plage inconnue vit des figures de géométrie tracées sur le sable, et s’écria : « Courage, j’aperçois des traces d’hommes ! » En arrivant sur les côtes de France, nos phares sont pour le navigateur étranger des témoignages de civilisation avancée. Il est poétiquement d’usage de faire entrevoir le temps où nos villes et nos monumens n’existeront plus que pour les antiquaires futurs. Un jour viendra ! disent Homère et Virgile. Eh bien ! moi, je dis qu’il ne viendra pas ce jour où une portion inintelligente et barbare de l’espèce humaine dominera et détruira la portion civilisée, forte de toutes les ressources que la science emprunte à la nature, pas plus qu’on ne verra le bœuf atteler l’homme à la charrue et le chameau lui faire transporter des fardeaux à travers le désert.

L’observateur qui vient d’étudier à Quillebœuf tant de curieux phénomènes maritimes ou météorologiques trouve encore aux environs de cette ville d’autres spectacles non moins dignes de sa curiosité. En face de Quillebœuf s’ouvre, de l’autre côté de la Seine, l’embouchure d’une vallée fertile occupée par de riches pâturages où l’on engraisse de nombreux bestiaux, où l’on élève de jeunes chevaux qui viennent curieusement et inoffensivement offrir leur crinière et leur cou aux caresses du passant étranger. Cet animal sociable et ami de l’homme, pour être ici en liberté, n’en est pas pour cela plus farouche. Là, les eaux rapides de la Bolbec se jettent dans la Seine après avoir prêté leur force motrice à de nombreuses usines et manufactures, et leur irrigation fécondante à la plus belle vallée que jamais la nature ait créée pour l’offrir à l’admiration du poète et de l’homme d’état.

En remontant cette vallée, on arrive, au bout de quelques