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cette vaste exhibition de l’industrie humaine, car le siècle se fait vieux, et après avoir été si orageux et si fécond en péripéties politiques, il semble se recueillir et vouloir faire tranquillement son examen de conscience. Il lui sera beaucoup pardonné parce qu’il a beaucoup aimé ce qui fait le prix de la vie, et l’histoire pourra lui appliquer ces deux admirables vers de Dante :

Libertà va cercando, ch’è si cara
Corne sa chi per lei, vita rifiuta.

L’administration de l’Opéra a subi, depuis l’année dernière, une modification très importante. M. le ministre d’état a désintéressé le directeur qui en avait le privilège depuis 1847, et s’est substitué à sa place. L’Opéra est maintenant dans les attributions du ministre de la maison de l’empereur, qui se charge de liquider son passif et de pourvoir à son avenir. Cet état de choses n’est pas nouveau, car depuis Louis XIV, qui a institué l’Académie royale de musique en 1669, ce grand établissement lyrique a été successivement sous la main de l’état, de la ville de Paris, ou livré à des entrepreneurs. Sous l’empire et la restauration, l’Opéra dépendait de la liste civile, et ce n’est qu’en 1831 que le gouvernement essaya de nouveau le système de l’entreprise, qu’on vient d’abandonner.

On peut donner de très bonnes raisons pour ou contre ces deux systèmes, et ici même, on a fait ressortir dernièrement[1], avec beaucoup de justesse, tous les inconvéniens qui peuvent résulter de l’intervention directe de l’état dans l’administration des théâtres. Pour notre compte, nous serions assez favorable au système qui permet au gouvernement d’être le tuteur des intérêts matériels de quelques théâtres privilégiés, à la condition qu’il s’abstînt scrupuleusement d’intervenir dans les questions d’art, et qu’il laissât aux petits théâtres des boulevards une liberté entière dans le choix du répertoire et de leurs élémens de succès. Pour les théâtres comme pour l’instruction publique, nous voudrions concilier les avantages de l’ordre et de la tradition avec les bénéfices de la lutte et de la liberté. Deux ou trois théâtres modèles sous la main de la liste civile ou de l’état, où l’on n’admettrait que des artistes éprouvés et des œuvres d’une certaine élévation de style, et puis le droit laissé à l’industrie particulière de chanter, de danser et de jouer la comédie comme on l’entendrait, et sans autre surveillance que celle qu’impose la morale publique : — tel serait notre système, si nous avions mission de donner un avis sur une question qui intéresse non-seulement la musique, mais toute l’économie de l’art dramatique. La tendance à tout administrer, tout réglementer, crée au gouvernement des embarras infinis. La France a fait une révolution pour secouer le joug d’une religion de l’état; essaierait-on de lui imposer un art gouvernemental, une musique de princes et de potentats ? Une pareille tentative serait plus qu’impossible, elle serait ridicule, et la malice gauloise en aurait bientôt fait justice.

Quoi qu’il en soit, la nouvelle administration de l’Opéra est maintenant à l’œuvre, et parmi les résultats qu’on lui doit, il en est du moins qu’on peut

  1. Voyez la livraison du 15 octobre.