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d’enfouir son ennui au fond de la solitude, c’est dans le tumulte d’un comptoir ou dans d’incessans efforts intellectuels qu’il chercherait l’oubli de son chagrin. Le travail, voilà chez le penseur transatlantique la loi suprême, et il dirait volontiers avec Goethe : «Celui-là seul mérite la liberté et la vie qui chaque jour travaille à se les conquérir. »

On comprend que ceci s’applique à la généralité des écrivains qui représentent, dans les deux hémisphères, les aspirations intellectuelles des races saxonne et germanique : toute conclusion de ce genre deviendrait par trop arbitraire si elle n’admettait des exceptions. D’un côté par exemple, Goethe a pour l’activité le culte d’un fils du far-west, et certes Jean-Paul n’apporte à la nature aucune blessure à guérir, mais il l’aime fortement et joyeusement. De l’autre, le poète américain Longfellow joint à toutes les qualités distinctives de sa race certains attributs qui semblent n’appartenir qu’aux derniers héritiers d’une civilisation excessive; il a parfois de la mélancolie comme Bellini. Seulement, qu’on ne s’y trompe pas, sous des formes qui rappellent parfois l’old world, il reste éminemment Américain par le but qu’il aperçoit et poursuit sans cesse à travers les routes en apparence les plus diverses. Le Psaume de la vie et Hypérion ne peuvent sortir que de la plume d’un homme dont le principe est de subordonner, en tant que sources d’inspiration, l’avenir et le passé au présent.

«Que l’avenir, pour brillant qu’il soit, ne te séduise pas ! que le passé, mort lui-même, ensevelisse ses morts! Agis, agis dans le présent, dans ce temps qui est et qui vit : » voilà le précepte de Longfellow, lequel, en vrai poète qu’il est, ne laisse cependant pas de temps en temps de prêcher une tout autre doctrine, mais dont celle-ci demeure la conviction fondamentale et inspiratrice. La poésie du présent! le mot a pour nos oreilles un sens étrange, et nous ne concevons pas ce que peut faire en si rude mêlée la divinité délicate que nous nous efforçons de rendre plus insaisissable de jour en jour, et que nous voudrions exiler à tout jamais dans l’éternel azur. La poésie n’était pas dans l’antiquité une chose à part, reléguée on ne sait dans quel ciel inaccessible; bien au contraire, elle animait toute chose, comme l’âme anime le corps, et aucun acte de l’homme, aucune manifestation de la pensée n’était nécessairement dépourvue de sa muse, autrement dit de sa poésie. L’antiquité eût connu l’industrie, que, loin de la proscrire de son olympe, elle lui eût à coup sur trouvé son inspiration, son dieu. Elle nous le démontre assez en donnant la beauté suprême pour épouse à Vulcain, le laid, le boiteux, le forgeron, l’archétype et l’ancêtre du travailleur de notre âge de fer. Un critique allemand prétendait, il y a quinze ans, que