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Vulcain était précisément le sujet par excellence du poème de l’avenir, et que cela étant, l’Homère qui devait le chanter se trouverait infailliblement un jour. Si la prédiction s’accomplit, il y a tout à parier que le poète annoncé sera un Américain.

À ce point de vue et en rappelant que l’idéal garde toujours, même dans le monde matériel, ses droits nécessaires, les écrivains américains me semblent plus avancés que les Anglais, plus décidément dans la droite voie. J’ai dit avancés, et je m’explique : les tendances de la littérature dans l’Amérique du Nord sont, je crois, plus en rapport avec l’esprit des temps à venir et partant plus vraies que celles de l’Angleterre, mais il s’en faut que le talent se développe dans la même proportion, et pour vingt écrivains de mérite que nous fournira la Grande-Bretagne, nous en compterons à peine un dans les États-Unis. Cela posé en principe, il est également juste de dire que si le niveau général du talent est plus élevé du côté du vieux continent, l’Amérique prend sa revanche lorsqu’il s’agit d’une supériorité réelle. Les deux hommes les plus éminens des pays transatlantiques, Emerson et Longfellow, me semblent, à part une ou deux exceptions, incontestablement au-dessus de ce que la race anglo-saxonne a produit en Angleterre depuis quinze ans.

Avant d’aller plus loin, il faut rechercher quelques-unes des causes de certaines spécialités américaines, de certains traits qui distinguent les peuples de l’ouest de leurs ancêtres du nord. Le travail, avons-nous dit, est une religion pour l’Américain; on me répondra que l’Anglais est travailleur aussi : oui, mais à de bien autres conditions. L’Anglais travaille pour arriver et pour se reposer à la fin; l’Américain travaille pour travailler, et pour ne se reposer jamais; son but dans le travail, c’est d’employer l’énergie qui est en lui, de s’épanouir, de se manifester, de vivre en un mot avec le plus d’intensité possible. L’Anglais auquel ses aïeux n’ont pas assuré une position sociale s’adresse pour se la créer, soit à la politique, soit à l’industrie; dans les deux cas, il devient un homme pratique et prosaïque, et dont la considération s’attache au résultat de son activité, tandis qu’en Amérique le travail, en tant que travail même, commande l’honneur et le respect de tous. On conçoit aisément quelles différences psychologiques peuvent découler de là. Pendant que l’Anglais arrivé s’arrête et tend à conserver aussitôt ce qu’il a pu acquérir, son rival va toujours, selon sa devise de go ahead, et préfère les émotions de la lutte aux jouissances du succès. Livré pour la plupart du temps à ses propres ressources dès l’enfance, l’Américain se fraie une route à travers la vie comme à travers ses forêts vierges, jetant au vent le cri de chacun pour soi! la moitié seulement du vieux proverbe français. Ardent à vaincre, insouciant à garder le fruit de la victoire, remettant en jeu sa vie aussi souvent que sa fortune,