Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lyriques de Longfellow, on nous permettra donc de citer de préférence le petit poème par où sa gloire a commencé en Angleterre. Excelsior a paru en 1840, et depuis lors, chaque année n’a servi qu’à graver davantage ces strophes éloquentes dans la mémoire de tout le monde. Quatorze ans ont passé là-dessus, et hier encore, dans les annonces du Times, deux nouvelles entreprises prenaient, pour se recommander au public, le nom, l’enseigne, pour mieux dire, d’Excelsior! Ceci est de la véritable popularité, ou je m’y connais peu, et la critique, ce semble, n’a plus rien à démêler avec des créations que la voix de tant de millions d’hommes a proclamées admirables. Je me borne à donner sans commentaire ce morceau si fameux dans les deux mondes :


« Les ombres de la nuit tombaient vite : — à travers un hameau alpestre passa un bel adolescent, à travers neiges et glaces, une bannière déployée à la main — et sur la bannière, cette étrange devise : excelsior !

« Sombre était son front, mais l’épée sortant du fourreau n’a pas plus d’éclat que son œil, et pareille au clairon résonnait sa voix ! — sa voix, interprète d’une langue inconnue : excelsior!

« Devant d’heureuses demeures il passe et voit flamboyer sur l’âtre la douce et chaude lumière du feu de la veillée; — Puis devant lui; là-haut, s’élèvent menaçans les grands glaciers, comme de gigantesques spectres !-— Quel gémissement lui échappe! — excelsior!

« — Oh ! ne tente point le passage ! s’écrie le vieillard, l’orage tout noir gronde déjà; — entends mugir le torrent, — le torrent vaste et profond ! — Et cette voix de clairon répond : excelsior !

« — Oh! reste ici! murmure la jeune fille, reste, et sur mon sein repose ta tête chargée d’ennuis ! — Une larme voilà l’éclat de son bel œil bleu, et en soupirant, il dit encore : excelsior!

« — Gare aux grandes branches du sapin foudroyé ! gare surtout à l’avalanche!... Du vieillard ce fut l’adieu dernier, — Une voix lointaine du haut de la montagne crie : excelsior!

« A l’aube, tandis que les pieux moines de Saint-Bernard chantent la prière accoutumée, une voix fend l’air, éveillant l’écho étonné : excelsior !

« Mais un voyageur est découvert à moitié enseveli dans la neige; sa main glacée tient un drapeau, — le drapeau à la devise mystique : excelsior!

« Là, dans le froid et terne crépuscule, là, étendu sans vie, qu’il paraissait encore beau!... Mais du fond des deux quelle voix descend ?... Pure, mais si loin, si loin ! Elle tombe, comme tombe une étoile : excelsior! »


Tel est le poème auquel Longfellow doit sa première, peut-être sa plus grande célébrité, ce poème, qui est devenu le cri de guerre de toute une école. Malgré cette célébrité si persistante, nous n’hésiterons pas à dire qu’on aurait tort d’y voir le symbole de la doctrine de Longfellow. Excelsior est une production isolée, à part, dans l’œuvre du poète. Sa muse est plus forte et moins chercheuse que cela; elle résiste vaillamment aux fatigues et aux périls de sa route,