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Aimé de la jeune fille, le rude guerrier demande sa main à son père ; mais celui-ci est un prince souverain, et le viking essuie un refus dédaigneux. Aussitôt il décide l’enlèvement de sa bien-aimée. « Si la blanche tourterelle, dit-il, ne doit pas suivre le vol. du goéland, pourquoi cette nuit laisser son nid sans défense ? » Cet enlèvement nocturne, cette course sur des mers inconnues, se terminant par la découverte d’une plage déserte du far-west, sont d’un vigoureux élan. Citons la fin du récit :


«A peine fus-je en mer, — avec moi la jeune fille — (oh! c’était la plus belle parmi celles du Nord), que sur la plage blanche paraît le vieux Hildebrand! — Il étend sa main gantée de fer; — vingt cavaliers raccompagnent.

« Alors eux aussi tentèrent la mer et le vent; les mâts se courbaient comme des joncs. — Pourtant nous aussi nous allions vite. — Nous gagnions, nous gagnions! — Soudain le vent nous trahit! Virant tout à coup, une vraie trombe nous saisit, et nous pûmes voir les autres rire en nous hélant.

« Puis, quand le vent nous eut amenés l’un vers l’autre, mort fut le cri du timonier, — mort sans quartier ! De notre quille de fer nous frappâmes ses reins d’acier. — Le coup porta en plein, et sa carène noire s’abima dans les noires eaux!

« Comme le féroce cormoran, ses grandes ailes déployées, cherche quelque rocher pour abriter sa proie, ainsi à travers l’ouragan je gagnai encore le large, emportant avec moi la jeune fille.

« Pendant trois semaines nous tendîmes vers l’ouest, et quand les tempêtes cessèrent, nous vîmes enfin la terre. Nous abordâmes, et là je bâtis pour ma dame la tour qui, aujourd’hui encore, regarde la mer.

« Là nous demeurâmes longues années; les pleurs de la jeune fille se séchèrent, ses craintes disparurent. Elle fut mère! La mort vint fermer ses doux yeux bleus; sous la tour je l’enterrai : jamais le soleil ne verra sa pareille.

« Après cela, mon cœur s’arrêta et devint comme une eau stagnante. Les hommes, je les abhorrai. Le soleil blessait ma vue. Dans cette grande forêt voisine, tout vêtu de mon armure, je tombai sur ma lance. — Oh! que la mort fut bonne !

« J’étais couvert de cicatrices; franchissant sa prison, mon âme s’envola vers les étoiles. — Là, l’âme du guerrier puise à une coupe intarissable. — Salut! terre du Nord, — salut!... » Ainsi finit l’histoire. »


Il serait impossible, même à une traduction allemande je pense, de rendre l’admirable sonorité et le singulier entrain de ce morceau dans l’original. Malgré l’extrême difficulté de la forme choisie, on est forcé de convenir que chaque mot est d’une nécessité absolue. Le sens intime de l’œuvre domine tellement le poète, qu’on le dirait contraint par une puissance extérieure de développer son sujet de telle manière et non pas autrement. Dans la langue anglaise de ces dernières années, nous ne connaissons guère que certains poèmes de Shelley, l’Hymne à Pan surtout, où la forme la plus impraticable