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Nous sommes loin sans doute d’avoir épuisé la liste des artistes qui ont fait preuve d’habileté dans le portrait; mais les œuvres de ce genre ont tant de ressemblance entre elles, comme exécution elles procèdent tellement d’une même routine inévitable, et d’ailleurs elles affluent à tel point, que, pour les nommer seulement, il faudrait plus de temps et d’espace que nous ne pouvons leur en accorder.

Avant de passer outre, il faut cependant nous arrêter encore à une œuvre française qui figure dans la salle d’honneur de l’académie, et qui peut suggérer d’intéressantes comparaisons. C’est un portrait en pied de lord Dufferin par M. Ary Scheffer, et certainement une consciencieuse étude. Depuis longtemps nous étions accoutumé à admirer le sentiment tendre et recueilli que le célèbre maître sait répandre dans les sujets mystiques ou qui touchent à la poésie; mais nous avions eu moins souvent l’occasion d’apprécier ses moyens dans cette spécialité. Le portrait signé de son nom nous a frappé comme rappelant beaucoup ceux de M. Henry Scheffer, avec plus de lourdeur cependant, mais en même temps avec plus de largeur de caractère. Sans vouloir décider à quel point la couleur pâle et sans corps de ses compositions religieuses ou d’imagination peut tenir à la nature même de l’inspiration qui les dicte ou à la bonne foi du travail, nous avons peine à concevoir qu’une pareille manière soit applicable au portrait, qui, à notre sens, se passe mal d’une touche vigoureuse et d’un certain luxe de relief. Aussi la page de M. Scheffer ne peut-elle, malgré ses belles qualités, nous faire oublier ses défauts : comme tableau, elle est froide d’effet et de ton; comme image d’un personnage réel, elle pêche encore plus par son aspect morne et blême et par son manque de vie.

En rencontrant ainsi un envoi français dans le rendez-vous de la peinture anglaise, on eût pu s’attendre à un contraste plus tranché entre ce spécimen d’un art étranger et la masse des tableaux environnans; mais durant ces vingt-cinq dernières années, les deux écoles, en poursuivant leur développement dans des directions contraires à maint égard, ont sensiblement diminué la distance qui les séparait. Les sévérités de la forme et du dessin préoccupent davantage les peintres anglais, et les aménités de la couleur et de l’effet ont trouvé grâce devant la France. Ce n’est pas que toutes les dissemblances se soient effacées : il en reste, et de fort essentielles; mais elles ne sont plus assez flagrantes pour sauter aux yeux à première vue, surtout dans ce qu’on nomme la peinture de chevalet. Pour retrouver entre les styles des deux pays un désaccord patent, une opposition absolue, il faut en venir aux compositions de grande dimension historiques ou mystiques, et plus particulièrement aux peintures murales. Là où il s’agit d’être maître du dessin et des vastes surfaces, la longue