Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/675

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partiale, ont marqué bien des pages de nos historiens actuels racontant nos faits contemporains.

Ce n’est pas tout. Cette habitude de peindre d’après nature, ce travail sur des modèles vivans a réagi d’une manière heureuse sur la contemplation studieuse du passé : l’histoire même ancienne a été mieux comprise, à la faveur et à la lumière de la grande histoire présente, qui se faisait et se récitait devant nous.

Ce n’est pas sans doute qu’une fâcheuse influence, de système plutôt que de passion, n’ait pu se glisser parfois dans notre interprétation historique des époques plus ou moins reculées. Quand un siècle est fort préoccupé de lui-même, il teint de ses couleurs les temps éloignés qu’il veut décrire.

Cela était arrivé en France à la grande littérature du XVIIe siècle. Cela se retrouve plus encore, je ne dis pas dans les peintures, mais dans les jugemens et dans les dédaigneuses prétéritions du XVIIIe siècle. Cela devait se rencontrer quelquefois aussi dans les œuvres historiques de notre temps, mais avec une grande compensation, celle qui résulte d’une étude plus approfondie des faits et d’une disposition d’esprit plus désintéressée, plus générale, et, si vous voulez, plus exercée, à force d’avoir vu des changemens rapides et comparé des ruines diverses.

De là, sous la condition première du savoir et du talent, plusieurs beaux écrits de notre XIXe siècle touchant l’état social, les événemens, les mœurs et même le génie théologique du moyen âge. De là par exemple les Lettres de M. Thierry sur nos anciennes communes, et certaines parties singulièrement pittoresques et vraies de l’Histoire des Ducs de Bourgogne par M. de Barante ; de là, sous la plume de M. de Rémusat, les vies à la fois si animées et si analytiques d’Abailard et de saint Anselme, et, de la main de M. Cousin, les traits de biographie et d’histoire si attachans et si vrais mêlés à une Dissertation sur le Sic et Non de ce même Abailard, personnage mixte entre la science théologique, la liberté d’examen et l’imagination romanesque.

Dans la peinture d’un passé plus rapproché de nous, plus grand et plus connu que le moyen âge, plus analogue à notre civilisation, avec des caractères qui en sont profondément distincts, notre époque a également montré un heureux progrès d’intelligence et d’émotion historique. Est-il besoin de dire à quel point l’Angleterre de 1640 et des vingt années suivantes, le génie de la guerre civile et de la liberté légale, l’ascendant passager du despotisme sur un peuple ami des lois, le retour des principes indestructibles que la force avait comprimés, toutes ces grandes scènes de la glorieuse vie du peuple anglais apparaissent mieux expliquées et mieux retracées dans le livre