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à l’état de province française, pour devenir en 1790 les départemens de la Meuse, de la Meurthe, de la Moselle et des Vosges.

C’est ce long acheminement à une fin nécessaire, c’est ce travail d’appropriation et de conquête graduelle que M. d’Haussonville excelle à décrire avec un sentiment des lieux, une intelligence native des faits, un patriotisme local qui répand sur ses récits autant d’intérêt que de clarté. Prenons pour cela son livre à la mort soudaine de Henri IV, de cet habile et excellent prince, qui, dans sa haute fortune, gardait à la Lorraine un malin vouloir de la candidature que le duc Charles III avait osé élever jusqu’à la couronne de France. Voilà bien des événemens interceptés, détruits en germe par cette mort funeste! L’Allemagne et la maison d’Autriche respirent d’un grand danger, ou du moins d’une grande commotion qui les menaçait. La lutte des intérêts protestans et des intérêts catholiques va être laissée à elle-même, délivrée de la puissante et douteuse intervention qu’elle avait sollicitée, jusqu’au moment du moins où le génie du cardinal de Richelieu reprendra plus hardiment la politique d’Henri IV, encore gêné dans son abjuration et dans sa gloire par les souvenirs de son ancien culte et les fanatiques défiances qui ne cessaient de les lui reprocher.

Ce crime, cette calamité de la mort d’Henri IV fut un grand changement ou du moins une grande suspension dans le mouvement des affaires de l’Europe, et à ce point de vue M. d’Haussonville en marque les effets immédiats dans quelques pages aussi justes et aussi courtes que fortement tracées; mais, en ce qui concerne la Lorraine, elle ne changea rien à la tendance des choses, et pour ainsi dire au mouvement instinctif de la France pour s’affermir et se compléter. Là commence le long drame de la réunion, assez souvent interrompu par des intermèdes de repos ou d’intrigues insignifiantes, puis repris par des actes décisifs, mais non persistans, comme le jour où Louis XIII mit garnison dans Nancy, et le jour où Louis XIV conquit tout à fait la Lorraine, pour la rendre bientôt par un traité. C’étaient là des essais de prise de possession, comme la Moldavie et la Valachie en ont tant éprouvé depuis un demi-siècle. Toutefois ces tâtonnemens de conquêtes, qui, pour l’avenir, avancent fort peu la réunion d’un peuple encore inculte à une domination arbitraire et dure, préparent déjà et cimentent à demi la réunion de deux pays inégaux en force matérielle, mais rapprochés par une civilisation analogue et croissante. Ce n’est pas que, durant la régence de Marie de Médicis et sous Richelieu, les procédés de la France envers la Lorraine, tels que le cardinal les avoue ou plutôt les célèbre dans ses Mémoires, n’aient été fort rudes et fort iniques, mêlés de guet-apens et de guerres, de perfidies et de cruautés : il n’importe; cela n’augmentait ni ne créait