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surtout Mme de Chevreuse devait avoir un grand ascendant diplomatique. Ce n’était pas en effet la duchesse de Chevreuse de la fronde et du cardinal de Retz, si belle encore et si redoutée, mais ayant déjà quarante-cinq ans; c’était la duchesse de Chevreuse de 1626, c’est-à-dire de vingt ans plus jeune, et dans tout l’éclat, dans tout l’épanouissement, dans toute la primeur de sa beauté.

Cette remarque et toutes les conséquences qui s’y rapportent, l’étude comparée des portraits de Mme de Chevreuse à plusieurs époques de sa vie, le récolement scrupuleux des divers témoignages contemporains sur ses traits, ses yeux, sa voix, sa grâce, son esprit, tout cela forme sous la main de l’historien un très piquant épisode, que nous ne pouvons lui reprocher. La sévère exactitude de M. d’Haussonville ne fait d’ailleurs défaut nulle part. Tandis que la nacelle enchantée qui porte Mme de Chevreuse descend sur le palais de Charles IV à Nancy, et que le duc, perdant la tête plus que jamais, multiplie les fêtes, les tournois aux flambeaux, et y remporte lui-même des prix qu’il dépose aux pieds de sa belle cousine, le commandant des troupes du roi (de France) dans la ville de Metz écrit jour par jour au cardinal sur les mauvais procédés et les mauvaises pensées du duc de Lorraine envers la France à mesure que l’empereur prévaut en Allemagne contre les protestans. Il dénonce particulièrement les prohibitions faites aux sujets lorrains de vendre leurs blés à Metz, et les galanteries qui se font à Nancy durant ce carnaval, ès-quelles madame de Chevreuse a bonne part. Le cardinal en conséquence renforce les garnisons des trois évêchés, presse l’achèvement d’une citadelle commencée depuis un demi-siècle à Verdun, et y fait travailler sans interruption cette fois malgré les excommunications de l’évêque, que le cardinal premier ministre fait judiciairement déclarer abusives et attentatoires aux droits de la couronne.

Tout cela, bien attesté et bien raconté dans un chapitre de l’historien, nous fait comprendre et nous met sous les yeux à quel point cette petite souveraineté de Lorraine était de toutes parts investie et resserrée, indépendamment des étourderies du jeune duc, suspect et mis en surveillance dans sa cour et au milieu de ses fêtes.

Richelieu, qui, tout grand homme qu’il était, avait malheureusement plusieurs sujets de rancune contre Mme de Chevreuse, fut impitoyable à la poursuivre pour elle-même et dans son protecteur. Il employait à cette inquisition de police généraux, gouverneurs de provinces voisines, agens publics, agens secrets, dames de cour et dames anonymes. Pour résister à un blocus si vigilant, il aurait fallu tout ce que le duc de Lorraine n’avait pas, coup d’œil et fermeté,