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Avant tout, pour ne pas tomber vis-à-vis des écrivains italiens dans un injuste excès de sévérité, qu’on n’oublie pas dans quel milieu ils ont à se produire, et quels obstacles pèsent sur l’expression de leur pensée. Le public d’au-delà des Alpes connaît ces obstacles : aussi est-il porté à l’indulgence pour ceux qui cherchent à les vaincre. Un charme plus puissant que le mérite littéraire attire le lecteur italien vers l’écrivain. Il sait que sous ce qu’on lui dit, il trouvera ce qu’on n’ose, ce qu’on ne peut lui dire, et n’ayant de pensée que pour la résurrection de la patrie, il accepte tout, il excuse tout, pourvu qu’on l’entretienne de ses désirs et de ses espérances. De là sa prédilection pour la philosophie, qui pose les principes, et pour l’histoire, qui en montre l’application ou la violation dans les faits. D’autres genres littéraires, — la poésie, le roman, — sont tenus de célébrer les gloires passées de la patrie ou de formuler ses espérances présentes. C’est par les lettres et dans les lettres en quelque sorte que l’Italie réalise cette unité tant souhaitée qui la fuit dans l’ordre des faits politiques. Devant les œuvres de l’art et de l’esprit, les barrières municipales tombent, les préjugés provinciaux disparaissent, les rivalités de clocher s’évanouissent; la gloire de Manzoni appartient à Naples et à Rome non moins qu’à Milan; Leopardi n’est pas Romagnol, il est Italien. Cette solidarité volontaire dans la gloire comme dans le malheur est, quoi qu’on puisse dire, un sérieux argument en faveur des aspirations unitaires. Dans tous les cas, elle provoque des manifestations qu’on doit se plaire à étudier.

C’est dans le roman que se traduit le plus nettement peut-être cette tendance de l’Italie à faire des œuvres littéraires l’expression indirecte des préoccupations politiques. C’est le roman historique, par exemple, qui a tenu le plus de place, après l’histoire proprement dite, dans la littérature contemporaine de l’Italie. Les écrivains qui ont succédé à Manzoni et à son école ont conservé ce cadre, tout en y introduisant un esprit nouveau, que personnifie, dans sa violence un peu déclamatoire, M. Guerrazzi. Plus récemment encore, une direction nouvelle s’est produite, et le roman de mœurs a pris place à côté des récits empruntés aux chroniques italiennes. C’est sous ces trois aspects, — roman historique, roman démocratique, roman de mœurs, — que nous voudrions interroger la littérature contemporaine de l’Italie.


I.

La période où a fleuri le roman historique proprement dit au-delà des Alpes est aujourd’hui terminée, on peut l’affirmer sans crainte; mais la tendance nationale qui en fut le caractère lui a survécu. Il convient donc de saisir cette tendance telle que nous l’offre la première moitié du siècle, si nous voulons la suivre et en apprécier nettement la portée d’après ses manifestations les plus récentes.

Le roman historique est né en Italie avec l’auteur des Fiancés; il y a cependant un romancier qui, dans l’ordre des temps, a précédé Manzoni. Walter Scott eut dans M. Bazzoni un imitateur aussi docile que zélé. Plus tard, M. Bazzoni devait obéir non moins complaisamment à l’influence de Manzoni. C’était cependant beaucoup pour le succès que d’être venu le