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l’enflure ne les dépare pas; en second lieu, de quelques scènes habilement décrites, celle de la combustion de Marco Massimi, le troisième fils; du caractère de l’usurier, peu original, il est vrai, et trop chargé, mais enfin où l’on trouve les traces d’une étude sérieuse; il faut lui tenir compte surtout de la modification qui semble s’être opérée dans ses idées sur la morale. Jusqu’ici, il nous avait toujours montré le crime triomphant, la vertu persécutée; voici enfin un ouvrage où il n’y a pas une faute qui n’ait son châtiment. M. Guerrazzi commencerait-il à croire que la justice vengeresse n’attend pas toujours l’autre vie pour frapper les coupables ? Malheureusement, si le but est honorable, les moyens employés pour l’atteindre manquent tout à fait d’habileté.

Ce que nous avons dit du romancier florentin suffit pour montrer qu’il n’a ni la flexibilité ni la liberté d’esprit nécessaire pour écrire un roman. Il est assez clair qu’il manque à la fois d’imagination pour créer, d’art pour composer selon les lois du goût et de la raison. Il se peut que le nouvel ouvrage de lui qu’on annonce comme devant paraître sous peu, l’Appendice au Jugement dernier, ou l’Ane avocat, nous montre une heureuse transformation de son talent ; mais nous craignons fort que M. Guerrazzi ne reste ce qu’il a été jusqu’à ce jour, un déclamateur éloquent.

Un critique italien exprimait dernièrement le vœu que l’école de M. Guerrazzi s’éteignit avec lui. Ce vœu n’était pas téméraire : je le crois bien près d’être réalisé. M. Eugène Maestrazzi a eu seul la singulière fantaisie d’imiter, je ne dirai pas le plus inimitable, mais à coup sûr le moins raisonnablement imitable des romanciers italiens, et le résultat de ses efforts permet d’espérer que le genre déclamatoire restera un accident isolé dans la littérature italienne. La Ligue lombarde et Jeanne d’Anjou méritent à peine une mention, car M. Maestrazzi n’a su emprunter à l’auteur du Siège de Florence que ses défauts.


III.

Nous venons de voir le roman historique se développer en Italie sous une double influence. Dans l’école de Manzoni, c’est la conciliation entre l’histoire et la fiction qui est le but d’efforts trop souvent maladroits ou stériles. Pour M. Guerrazzi, l’histoire devient un thème à déclamations politiques. L’Italie semble avoir tiré du cadre choisi par l’auteur des Fiancés tout ce qu’elle en pouvait attendre. Pourquoi donc ne s’interrogerait-elle pas de plus près ? Chercher par l’évocation des souvenirs du passé à réveiller le sentiment national, c’est une noble tâche qui a été remplie : il reste une œuvre plus délicate à essayer. La vie contemporaine a été à peine étudiée par les écrivains de l’Italie. Craignent-ils de toucher à des douleurs trop poignantes ? N’y a-t-il pas en dehors des faits politiques tout un domaine moral et intime où le roman peut prétendre à s’établir ? « pour aborder le roman de mœurs, disent les Italiens, nous n’avons pas cette vivacité des Français qui pique sans blesser, qui met le ridicule en évidence sans l’exagérer; quant au roman de caractère, nous manquons d’un centre politique pour étudier le caractère national dans son expression la plus condensée. Ne connaissant