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volontiers, en les lisant, de gloses, de commentaires très profonds, comme vous le pensez bien.

« On assure que le ministère anglais va être changé. — Je l’avais bien dit que cela devait finir ainsi ! Cela ne pouvait pas durer. Ces messieurs des chambres n’ont jamais pu se mettre d’accord avec les ministres. Plaisant! chose en vérité que de vouloir gouverner et de ne pas savoir s’entendre pour faire les lois !

« — C’est comme dans nos réunions, où chacun veut dire ce qui lui passe par la tête, hasarda l’agent de la commune....

« — La compagnie des Indes orientales a tenu, la semaine dernière, une séance à laquelle ont assisté... Je passe ce paragraphe et tous ces noms diaboliques, cela n’a aucune importance.

« — Mais au moins dites-moi, s’écria le pharmacien, qu’est-ce que cette compagnie dont il est si souvent question dans les journaux ?

« — Ce doit être, répondit le curé, une société de savans, de philosophes, d’hommes de lettres qui ont envoyé depuis longtemps aux Indes des personnes chargées d’y découvrir des antiquités; mais dans quel intérêt, c’est ce que je ne sais pas.

« — Vous vous trompez, monsieur le curé, interrompit M. Gaspard avec un sourire moqueur. La compagnie des Indes est une société de négocians, de richards qui ne connaissent pas leur fortune. Il s’agit bien de littérateurs et de savans !

« — Oh ! pour le coup, je ne m’y laisse pas prendre, dit le curé, piqué au vif de cette nouvelle interruption. Je vois bien que vous vous moquez. Que voulez-vous qu’aillent faire des négocians dans ce pays de barbarie et de misère ? Mais n’y eût-il que la dépense du voyage ?... Et puis là, voyons, avec ces belles manières d’empaler les gens et de les brûler vifs !... Ils en savent quelque chose, ces pauvres missionnaires qui vont porter la parole de vie à ces diables incarnés d’Indiens ! Des négocians, allons donc !

« — Mais j’ai vu l’Angleterre, moi, vous le savez bien, monsieur le curé ! Je l’ai parcourue en long et en large, et de ces Crésus qui parlent de millions comme nous d’écus, j’en ai vu et connu quelques-uns comme je vous connais. Vous devez me croire, moi qui ai vu tant de pays, qu’à peine je m’en rappelle les noms.

« — C’est une autre compagnie alors; mais quant à celle-là...

« — Eh bien ! mon cher curé, cette fois...

« — Je vous soutiens que ce n’est pas une compagnie de marchands...

« — Si c’était par hasard une compagnie de comédiens ? dit l’agent communal, qui voulait mettre d’accord les deux adversaires.

« — Silence ! — Ici le pauvre curé, qui, dans toute sa vie, n’avait jamais perdu son clocher de vue, s’échauffa, et regardant fixement son contradicteur : — Il me semble, reprit-il, que j’ai lu assez de bons livres, et que cela vaut autant que d’avoir voyagé, car ceux qui écrivent ont toujours raison et en savent un peu plus que vous et moi. Ainsi, mon cher monsieur Gaspard, il se pourrait bien que j’eusse raison et que vous eussiez tort.

« — Calmez-vous, monsieur le curé, et permettez...

« — Sornettes ! poursuivit celui-ci en jetant le journal sur la table avec