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colère. Vous êtes toujours contre moi; il y a longtemps que je m’en suis aperçu...

« Pendant que le curé parlait, le pharmacien et l’agent communal avaient toutes les peines du monde à le retenir sur son fauteuil : déjà il faisait mine de se lever avec dédain; il avait pris sa canne et son chapeau pour s’en aller. Ce ne fut pas une petite affaire que de l’en empêcher : il grommelait qu’il était déjà bien tard, qu’il avait d’autres choses en tête que toutes ces misères et tirant de sa poche sa grosse montre d’argent, il comptait avec soin les heures et les minutes. De son côté, M. Gaspard, qui, cette fois du moins, était sûr d’avoir raison, avait retiré sa chaise en arrière, tourné le dos au curé et murmurait : Quel ignorant obstiné! A coup sûr il a mal fait sa digestion aujourd’hui. — Peut-être les choses n’en seraient-elles pas restées là, si le médecin du village n’était entré d’un air tout affairé dans l’officine, comme quelqu’un qui a du nouveau à raconter. La curiosité fit plus en un instant pour la réconciliation que tous les efforts de M. Samuel. Le curé posa sa canne et son chapeau; M. Gaspard rapprocha sa chaise, et une trêve fut tacitement conclue jusqu’à l’arrivée de la prochaine gazette, ou jusqu’à la prochaine digestion laborieuse. »

Ce dernier trait de mœurs est le couronnement naturel de la scène piquante et vraie qu’on vient de lire. Ce sont là, dira-t-on peut-être, des caractères trop généraux, et il est permis de voir sous les traits de M. Gaspard ou du curé plus d’un notable, plus d’un desservant de nos villages français. D’accord; mais où l’on reconnaît l’étude vraie des mœurs italiennes, c’est dans l’excès même de cette ignorance, peu vraisemblable en général dans notre pays. Il est malheureusement trop certain que tels sont dans les campagnes de la Lombardie, et ailleurs encore en Italie, les représentans de la science, de l’intelligence et des classes éclairées : M. Carcano n’a pas fait leur caricature, il a fait leur portrait.

Quand M. Carcano décrit la nature italienne, il n’est pas moins bien inspiré que quand il met en scène ses compatriotes. Les romanciers lombards excellent en général à décrire les beautés de la nature dans leur merveilleux pays. Dans les lignes qui suivent, ne sent-on pas que M. Carcano écrit d’abondance et presque sans réflexion ?

« Quiconque voit l’aurore d’un jour de printemps dans notre Italie, sous ce ciel calme et transparent de la Lombardie, et ne sent pas son cœur s’épanouir librement, sa poitrine se soulever légère et sereine en respirant cet air qui la nourrit et qu’elle sent lui appartenir, celui-là n’aura jamais ce sens divin que Dante appelle avec tant de vérité et de profondeur l’Intelligence de l’amour. Ce sentiment si pur, ce n’est pas de la joie, ce n’est pas de l’étonnement, ce n’est pas même de l’extase : c’est un amour profond des beautés de la nature, c’est la vraie poésie. Si vous avez contemplé quelquefois une de ces aurores sur les rives fortunées du lac de Corne, dites-moi, n’avez-vous pas pensé, presque sans le vouloir, que la vie ne peut être plus heureuse, les années plus lentes et plus légères, le cœur plus juste et plus paisible ? N’avez-vous pas alors prié Dieu de rendre meilleurs les fils de ce doux pays auquel il a prodigué les beautés, les bénédictions de la nature ? — Si vous ne l’avez pas fait, je l’ai fait pour vous. C’était le matin. Le jour s’annonçait