Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plein de charme. Le printemps commençait à peine; la limpidité de l’air et la splendeur du ciel, l’harmonie de la vie et de la nature, tout resplendissait d’une mystérieuse beauté. C’est le temps heureux où le poète songe à la jeunesse du monde, aux jours de la création, quand le ciel et la terre portaient peut-être le même nom; c’est le temps heureux qui renouvelle ces miracles de la production qui sont une révélation au sage, rendent au riche sa santé épuisée et font au pauvre la promesse d’une bonne récolte. C’est alors surtout que nous sentons le besoin d’aimer nos frères, d’aimer la terre où nous vînmes au jour, les lieux où notre cœur a appris tant de noms chéris, où fit tant de beaux rêves d’innocence et d’amour, où nous avons connu la douleur, où nous avons pleuré pour la première fois !

« O ma patrie ! — Voici le soleil qui, dans la plénitude de sa lumière, remplit le ciel d’allégresse, répand la fécondité dans les campagnes, la tranquillité dans la vie, l’amour dans toutes les âmes ! Voici des plaines sans fin où le regard se perd, voici les lacs qui réfléchissent la sérénité des deux, voici les fleuves majestueux, les courans irrigateurs; voici les campagnes aux mûriers verdoyans, aux moissons florissantes, les riantes collines, les montagnes couvertes de vignobles, de pâturages, de chaumières et de villages ! Ici les cieux sont beaux, la terre est belle, les hommes sont nombreux, les femmes sont jolies... C’est le pays de nos pères, de notre religion et du petit nombre de souvenirs sacrés qui nous restent.

« C’était un dimanche. Sur le rivage et sur le penchant des montagnes qui couronnent les eaux tranquilles du lac de Côme, on entendait par intervalles les cloches nombreuses des paroisses retentir dans l’air et marier leurs joyeux accords. La plus grande beauté de cette scène, — la riante perspective de tant de villages que le soleil éclaire et qui se réfléchissent dans le lac, ce mélange de lumière et de couleurs, ces teintes indéfinies d’ombres et de vapeurs, — toutes ces merveilles défient le pinceau et trouvent la parole impuissante. Il n’y a pourtant que de pauvres chaumières éparses çà et là sur la croupe d’une colline, sur le penchant de la montagne, ou les pieds baignés dans le lac; à peine quelques-unes se détachent-elles par leur éclatante blancheur, par la vigne verdoyante qui les entoure ou le bizarre feuillage de l’arbre séculaire qui les protège. Et cependant il suffit de cela pour réjouir l’œil et le cœur; il suffit de l’avoir vu une fois pour ne plus l’oublier. De tous côtés, de charmans villages s’étendent au bord du lac, d’où ils semblent sortis par enchantement pour rivaliser de pittoresques beautés. Sur chaque rive, sur chaque colline, de nobles et vastes châteaux princiers, où l’on monte par de somptueux escaliers, arrêtent nos regards; de petites villas isolées et élégantes s’élèvent au pied de la montagne ou sur le penchant d’une colline, entourées de jardins en fleurs, ornées de plantes rares, abritées sous de frais ombrages; plus haut, on voit la cabane du montagnard et son pauvre petit champ. Bientôt la pente devient plus rapide, les broussailles dominent seules; plus haut encore, on ne voit que de larges bandes de terre d’un gris d’ardoise, une rare végétation et des ruisseaux qui bondissent et descendent vers la plaine

« En face de vous, un beau promontoire que couronnent quelques groupes de plus déroule devant vos yeux, du sommet à la base, le plus charmant