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de troupeaux, de chars errant pêle-mêle, se poussant, se croisant, se choquant dans les plaines du Volga, du Khouban et du Don. Ce qui rendait la frayeur plus grande, c’est que tous ces peuples croyaient avoir affaire aux Avars à cause de la similitude de ce nom avec celui des Ouars ; d’ailleurs les nouveaux arrivans portaient un des signes distinctifs des races intérieures de l’Asie et en particulier de la race turke : leurs cheveux pendaient sur leurs épaules en deux longues tresses entrelacées et retenues avec des rubans, ornement étranger aux Huns, dont les cheveux étaient courts et complètement rasés sur le front. Les Ouar-Khouni avaient adopté cette mode pendant leur captivité chez les Turks. Voyant qu’on les prenait pour les Avars, ils se gardèrent bien de détruire une erreur qui leur était si favorable ; ils reçurent au contraire, comme leur étant dus, les présens de beaucoup de tribus et toutes les marques de soumission que ce nom jadis redouté inspirait toujours. Tandis qu’ils erraient ainsi de lieu en lieu sans savoir où se fixer, l’idée leur vint de s’adresser aux Romains, dont la richesse excitait la convoitise de tous les barbares, et à qui ils espérèrent bien arracher, comme tant d’autres, des terres et de l’argent. Leur kha-kan (c’est le titre que prit leur chef, à l’imitation des rois de l’Asie intérieure, et pour compléter la transformation des Ouar-Khouni en Avars), leur kha-kan s’adressa dans cette pensée à Saros, roi des Alains, qui se piquait d’être bien vu à la cour de Constantinople, et Saros, désireux d’éloigner de lui ce terrible voisinage, promit de mettre les Avars en « connaissance et amitié » avec le grand empereur des Romains. Le gouverneur de la province de Lazique, au midi du Caucase, informé par ses soins, demanda les ordres de Justinien, dont il était le neveu. Justinien répondit qu’on devait laisser passer librement les ambassadeurs que le kha-kan des Avars voudrait lui envoyer, et sur cette assurance, celui-ci fit partir pour Constantinople un de ses officiers, nommé Kandikh, accompagné d’un cortège considérable.

Le nom des Avars, leur ancienne puissance et leurs revers étaient parfaitement connus des Romains d’Orient, et la nouvelle que ce vaillant peuple, échappé au joug des Turks, venait d’arriver dans les plaines du Caucase et envoyait une ambassade à Constantinople, excita un intérêt universel. On courut de toutes parts sur les routes pour voir passer les ambassadeurs, et quand ils firent leur entrée dans la ville, les fenêtres et les toits des maisons, les rues et les places étaient encombrés de curieux. On remarqua que leur costume était celui des Huns, leur langage celui des Huns, attendu qu’ils avaient pour truchement l’interprète ordinaire de ce peuple ; mais ce qui surprit les yeux comme une nouveauté, ce furent ces deux tresses flottantes qui leur tombaient jusqu’au milieu du dos et