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nous laisserons le nom d’Avars, qu’ils ont conquis par leur bravoure et sous lequel leur domination fut connue en Europe, — arrivant en de telles circonstances à Constantinople, y fut accueillie avec une froideur et une défiance fort naturelles. On lui fit attendre longtemps l’honneur d’être introduite en la présence sacrée du césar, puis on lui fit attendre sa réponse ; en un mot, on s’étudia à la promener de délai en délai pour les moindres choses. Quand ces hommes fiers et impatiens s’irritaient des lenteurs, Justinien les calmait par des présens, des paroles flatteuses ou des promesses qui n’aboutissaient à rien, mais qui retardaient une déclaration de refus que l’empereur ménageait pour la fin. Le kha-kan se laissa d’abord abuser comme ses députés ; puis, soupçonnant la manœuvre des Romains, il rappela son ambassade, que l’on retint pourtant encore en la promenant de prétextes en prétextes. Lorsque Justinien se trouva poussé dans ses derniers retranchemens, il parut céder, et proposa au kha-kan d’échanger la petite Scythie, que celui-ci avait sous la main, contre le canton occupé naguère par les Hérules dans la Haute-Mésie, autour de Singidon, et que ce peuple avait laissé vacant à son départ pour l’Italie. Ce canton, resserré entre les possessions des Gépides et des Lombards, barré au midi par l’empire et dominé par la ville de Singidon, où stationnait une garnison nombreuse, présentait un territoire facile à isoler ; le kha-kan le sentit bien et déclina l’offre de l’empereur. « La Scythie lui convenait, disait-il, et il n’en sortirait pas ; » elle lui convenait surtout en ce qu’elle n’interrompait point ses communications avec les pays qu’il avait conquis à l’est et à l’ouest de la Mer-Noire. Cette dernière proposition rejetée, il fallut bien laisser partir les ambassadeurs. Justinien les avait autorisés à se fournir à Constantinople de toutes les marchandises qui pourraient leur plaire, mais il apprit qu’ils avaient accaparé sous main une grande quantité d’armes. Au nom du droit des gens, il les fit arrêter sur la route, leur enleva les armes et s’exhala en plaintes contre leur mauvaise foi. Grâce à tous ces retards, le maître des milices d’Illyrie avait eu le temps de réunir des troupes, d’approvisionner les forteresses, d’équiper la flotte, en un mot de mettre le Danube en un état de défense respectable. Le kha-kan s’aperçut qu’il avait rencontré plus habile et plus rusé que lui, et comme il n’osait pas s’aventurer armes en main dans un pays inconnu, il se contenta de répondre aux plaintes par des menaces. Seulement il assit ses campemens d’une manière stable dans les plaines au nord du Danube, surveillant de là ses conquêtes, et ayant par la petite Scythie un pied posé sur l’empire romain.

Les Antes, mal soumis, s’étaient livrés à des hostilités contre lui, il leur fit une nouvelle guerre dans laquelle il les écrasa. Des