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Antes il passa aux Slovènes, des Slovènes aux Vendes : la terreur précédait ses armes toujours victorieuses. Il traversa ainsi la Slavie de l’est à l’ouest jusqu’aux montagnes de la Thuringe, où il se trouva face à face avec un ennemi tout autrement redoutable que ces essaims de sauvages qu’il chassait jusqu’alors devant lui : c’étaient les Franks austrasiens, dont les possessions, englobant l’ancien royaume de Thuringe, s’étendaient jusqu’à l’Elbe, où elles confinaient aux Saxons, et déjà aux populations vendes qui s’avançaient vers le midi par un accroissement régulier. Chlotaire, fils de Clovis, venait de mourir l’année précédente, 561, et dans le partage de sa succession, qui renfermait l’empire frank tout entier, l’Austrasie était dévolue à Sigebert, le quatrième de ses enfans. Le jeune Sigebert accourut au devant des Avars, qui menaçaient sa frontière, et les défît au-delà de l’Elbe, dans une grande bataille, à la suite de laquelle le kha-kan demanda la paix. Il paraît que Sigebert ne se montra pas difficile sur les conditions, tant l’affaire avait été rude. Les Avars revinrent par le même chemin, mais harcelés dans leur marche par les Gépides, qui ne voyaient pas leur voisinage de bien bon œil. Au moment où ils reprenaient leurs campemens du Bas-Danube, un grand changement s’opérait dans l’empire romain : Justinien mourait, et son neveu Justin II le remplaçait sur le trône des césars.

Ce fut plus qu’un changement de personnes, ce fut une révolution dans la politique étrangère comme dans l’administration intérieure. Justin, fils d’une sœur de Justinien et élevé soigneusement comme un candidat possible au trône, ne retira des écoles des rhéteurs que le goût de la déclamation, des idées fausses sur les choses du monde, et avec une haute estime de son mérite, une secrète jalousie contre son oncle, dont la gloire l’offusquait. Ce fut la plaie hideuse qu’il recelait dans son sein et qui emporta l’empire avec lui. Les établissemens de ce grand règne furent abandonnés ou compromis ; avoir coopéré à sa grandeur devint une cause naturelle de discrédit, et la flatterie la plus douce au cœur du nouveau césar fut de dénigrer son bienfaiteur. L’impératrice Sophie, femme vaniteuse et cruelle, le secondait avec ardeur dans cette œuvre d’ingratitude. On avait trouvé mauvais que Justinien, dans ses dernières années, fît la guerre aux barbares d’Asie avec de l’or, comme s’il n’avait pas montré contre les Vandales et les Goths qu’il la faisait assez bien avec du fer ; c’était là l’accusation banale des malveillans et des envieux, qui proclamaient que le second fondateur de l’empire et le libérateur de Rome n’avait pas eu le cœur romain. Justin II partit de cette base pour fonder sa politique extérieure. Il se posa devant les Avars comme Marius devant les Teutons, et parla aux Perses le langage de Trajan : malheureusement ce Trajan manquait de génie, et ce Marius de soldats. Il