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croyait payer le monde, comme il se payait lui-même, avec un patriotisme d’école. À force d’outrecuidance et de paroles hautaines que rien ne soutenait, il arma contre l’empire romain tout le monde barbare, et à force d’ingratitude contre les serviteurs de Justinien, il perdit sa plus belle conquête ; puis à la vue des tempêtes qu’il avait soulevées, aussi dénué de courage que de bon sens, il devint fou comme pour sortir d’embarras. Tel était le successeur que la mauvaise fortune de l’empire donnait à Justinien. Vers la même époque et comme pour contraster avec ce césar fatal, les Ouar-Khouni eurent pour kha-kan un grand homme à la manière des peuples d’Asie, un de ces politiques conquérans dont Tchinghiz-Khan, Timour et Attila nous présentent les types complets. Ce nouveau chef se nommait Baïan, et était dans toute la vigueur de la jeunesse. L’habileté à démêler les desseins secrets des hommes et le revers des choses, la ruse et l’opiniâtreté formaient, plus que la passion des batailles, le côté saillant de son caractère. Il ne faisait point la guerre par orgueil ou pour étaler sa bravoure : bien différent de ces fiers Germains que le point d’honneur amenait à leurs duels de peuples, dussent-ils ne s’y point battre, Baïan ne trouvait nulle honte à fuir quand il avait le dessous, et ne tirait l’épée que pour gagner. Sa patience à supporter l’injustice, les manques de foi, les humiliations, plutôt que d’entreprendre une guerre inégale, pouvait étonner et encourager un adversaire imprudent ; mais le moment venu, Baïan se vengeait bien. Quand il jugeait à propos de sévir, sa cruauté froide et calculée ne respectait rien ; le droit des nations, les traités, les sermens ne valaient à ses yeux que comme des moyens de succès, et il ne voyait dans le parjure qu’un stratagème. Avec tout cela, Baïan, toujours altéré d’argent et sans vergogne dans sa cupidité vis-à-vis de l’étranger, était considéré par son peuple comme un grand chef. Il se montrait généreux envers les siens, magnifique dans son entourage, poussant même la délicatesse et le luxe à des recherches surprenantes pour un barbare. Nous le verrons critiquer les arts de la Grèce et repousser avec dédain comme indigne de lui un lit d’or ciselé auquel avaient travaillé les meilleurs ouvriers de Constantinople. Sa longue vie lui permit de tenir tête successivement à trois empereurs romains, d’établir son peuple sur le Danube et de voir un instant presqu’à l’apogée l’empire qu’il fondait en Europe. Baïan, malgré ses revers et de cruels retours de la fortune, fut pour ce second âge des Huns ce qu’Attila avait été pour le premier.

Les Avars connaissaient un peu Justin, qui leur avait servi d’introducteur près de Justinien en 557, lorsqu’il était gouverneur de la province de Lazique. Ils se hâtèrent donc de lui envoyer une ambassade pour le féliciter, renouveler avec lui les anciennes