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Quelque temps après, les Avars et leur kha-kan revinrent sur les terres de la France austrasienne, mais ce fut cette fois sans hostilité contre les Franks, et probablement en poursuivant avec trop d’ardeur des tribus slaves auxquelles Baïan donnait la chasse. Là les subsistances lui manquèrent, mais il n’hésita pas à en demander à son nouvel ami Sigebert, lui faisant dire qu’un roi tel que lui devait assistance à un allié, et promettant au reste de vider le pays sous trois jours, s’il recevait des vivres. Sigebert fit conduire immédiatement dans le camp avar des légumes, des moutons et des bœufs : pouvait-on faire moins pour des sorciers ?

Affermi sur sa frontière de l’ouest par ce traité avec les Franks, Baïan put diriger tous ses efforts du côté de l’empire romain. Sur ces entrefaites, Tibère mourut, dans l’année 582, laissant le trône impérial à son gendre Maurice, qu’il s’était déjà associé en qualité de césar. Généralement les traités des empereurs avec les Barbares étaient considérés, sinon comme personnels, au moins comme ne liant pas absolument leur successeur, et l’on en négociait la continuation à chaque avènement. C’est ce que nous avons vu se pratiquer de la part des Avars à la mort de Justinien, et ce qu’ils firent encore à la mort de Tibère, en exigeant que leur pension annuelle, qui montait déjà à quatre-vingt mille pièces d’or, fût portée désormais à cent mille. Ce n’est pas que Baïan crût au succès de sa demande, car Maurice, prince d’ailleurs ferme et vigilant, avait une réputation assez méritée de dureté et d’excessive économie ; mais Baïan voulait un prétexte de rupture avec l’empire romain, qu’il était en mesure d’attaquer. Il avait une forte armée dans la presqu’île sirmienne, et Sirmium, bien approvisionné, devait lui servir de base d’opérations au-delà de sa frontière. Au refus de l’empereur, il cerna à l’improviste la place de Singidon par un beau jour d’été, pendant que les habitans, occupés à leur moisson, étaient dispersés dans la campagne. Quoique la ville fût presque déserte et la garnison prise au dépourvu, on se battit bien, et avec l’aide des habitans accourus de tous côtés, la garnison fit un grand carnage des Avars ; mais les Avars restèrent maîtres de la place. De Singidon, Baïan descendit, en suivant le Danube, jusqu’à Viminacium, qu’il enleva de vive force ; puis il se jeta sur une petite ville nommée Augusta, célèbre par les eaux minérales qui décoraient son voisinage, et pour l’usage desquelles les habitans avaient construit des thermes magnifiques. Baïan, pour répandre la terreur, démolissait et incendiait en vrai barbare tout ce qui tombait sous sa main, et il allait en faire autant des thermes d’Augusta, lorsque ses femmes, qui s’y étaient retirées pendant le siège et s’étaient mises bien vite à se baigner, demandèrent merci pour l’édifice qui leur avait procuré du plaisir. Le