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une place pour s’y asseoir et y mener une vie commode et abondante. Qu’il n’en sorte pas, qu’il n’empiète pas sur nos frontières ! L’empire romain est un grand arbre, au front sublime, aux rameaux immenses, au tronc robuste, à la racine vivace et qui se rit de toutes les tempêtes. Les eaux du ciel l’abreuvent, et une terre féconde le nourrit. Malheur à qui l’attaque, il ne le fera pas longtemps impunément ! » Pendant ce discours, récité probablement d’un ton déclamatoire, et dans l’agencement duquel Commentiole ne songea qu’à la rondeur des périodes, Baïan avait peine à se contenir. Les historiens nous le peignent dans un paroxysme effrayant de colère, le teint enflammé, les sourcils tendus, les yeux écarquillés, la prunelle étincelante : on eût dit qu’il allait se précipiter sur le Romain pour le dévorer. Il se contenta pourtant de l’envoyer en prison avec les fers aux mains et les ceps aux pieds ; puis il fit mettre en pièces sa tente, ce qui était chez les Avars un arrêt de mort. La nuit ne calma point sa fureur, mais le lendemain matin plusieurs chefs importans vinrent le supplier de ne point faire mourir un homme qui avait le caractère d’ambassadeur ; « il était, disaient-ils, assez puni d’avoir été mis à la chaîne. » Le kha-kan céda par condescendance pour les siens, et les députés rentrèrent à Constantinople, tout épouvantés de ce qu’ils avaient vu. Rien n’était disposé pour faire une campagne à l’intérieur et encore moins à l’extérieur de la longue muraille, car Maurice avait toutes ses troupes dans les provinces voisines de la Perse, et la brusque attaque des Avars le déconcertait au dernier point. Mais Baïan n’alla pas plus loin cette année : l’hiver qui commençait à sévir le ramena chez lui avec son armée gorgée de butin. Au commencement de l’année suivante, il reçut l’avis que l’empereur augmentait sa pension de vingt mille pièces d’or, et par réciprocité il jura une nouvelle paix.

Le traité était à peine conclu, qu’on vit fondre sur le Bas-Danube une nuée de Slovènes, qui traversa la Mésie et la Thrace jusqu’à la longue muraille au pied de laquelle elle s’arrêta. Ces barbares demi-nus ne présentaient pas la résistance des Avars, qui apprenaient la guerre en la faisant chaque jour contre des armées régulières, et les mêmes troupes qu’on n’avait pas osé commettre avec le kha-kan balayèrent cette tourbe sans beaucoup de peine jusqu’au-delà du Danube. Les Slovènes étaient tributaires des Avars, tributaires fort indisciplinés sans doute, et qui ne reconnaissaient guère leur maître quand ils n’étaient pas sous sa main ; toutefois, en songeant que Baïan était possesseur de la petite Scythie, par où les Slaves étaient entrés, on se demandait comment il n’avait pas fermé le passage à ces pillards, lui qui venait de prendre avec l’empire de nouveaux engagemens d’amitié. Mais une aventure fort peu attendue fournit toute la clé de ce mystère. Chez les Avars vivait à cette époque un