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vie tranquille livrée à des études et à des occupations sérieuses doit être naturellement porté à éviter la polémique sur des questions du jour qui impressionnent si vivement les esprits, car ce n’est pas le moment de discuter avec calme. Il faut espérer que cette animosité contre la Russie, produite en grande partie par les instigations d’une presse passionnée, dont le vertige semble avoir atteint son point culminant, passera comme tous les autres égaremens de l’esprit humain, dont nous avons vu tant de phases depuis quarante ans, et qu’il viendra un temps où l’on jugera la Russie d’une manière plus raisonnable et moins passionnée, et où l’on se convaincra, j’en suis bien sûr, que le danger pour les intérêts de l’équilibre de l’Europe continentale ne se trouve pas du côté où l’on s’évertue à le voir aujourd’hui.

Je m’abstiendrai donc de toute discussion sur les considérations politiques de M. Léon Faucher et ne m’occuperai, dans ma réponse, que de la partie purement financière de son travail, pour en relever quelques erreurs matérielles.

Je vous avoue, monsieur, bien sincèrement qu’en lisant cet article, j’ai été quelque peu surpris qu’un auteur aussi distingué eût prêté l’autorité de son nom à des faits complètement inexacts, et je n’ai pu m’en rendre compte qu’en prenant en considération que M. Léon Faucher, ajoutant une entière confiance aux révélations d’un organe officiel de la presse française, l’a adopté pour base de tous ses raisonnemens sur la situation financière de la Russie, dont il a tiré, avec sa lucidité ordinaire, des déductions qui seraient très-justes, si elles n’étaient pas fondées sur des faits erronés.

Je ne ferai pas au gouvernement français le tort de supposer qu’il a sciemment dénaturé les faits; mais je regrette qu’une connaissance imparfaite des opérations financières de la Russie et de ses ressources l’ait entraîné à confondre quelques données vraies avec d’autres qui ne le sont pas, et à construire un échafaudage de chiffres qui donne une idée complètement fausse de l’état de nos finances. Les erreurs qui s’y trouvent, et que nous supposons involontaires, ont été réfutées en substance dans deux articles qui ont paru dans le Journal de Francfort du 9 juillet et du 18 août dernier; mais comme il se pourrait que ces deux articles ne fussent point parvenus à la connaissance de vos lecteurs, et que d’ailleurs l’emploi que M. Léon Faucher a fait des données publiées par le Moniteur et les développemens dont il les accompagne exigent quelques explications complémentaires, je crois devoir récapituler ici les inexactitudes qui se trouvent reproduites dans le travail de M. Faucher.

Les chiffres et les raisonnemens qui s’y rattachent se croisent tellement les uns les autres, que, voulant surtout être court, il me serait difficile de les soumettre à une analyse systématique; je me bornerai donc à relever les inexactitudes qui s’y trouvent en suivant l’ordre dans lequel elles se présentent au lecteur.

1° Il est dit page 736 de la Revue[1] : « Le gouvernement russe, après avoir tâté les divers marchés, se voit exclu des principales places de crédit et réduit à l’expédient odieux, autant que stérile, de l’emprunt forcé. »

  1. Tome VIII, livraison du 15 août 1854.