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9° Page 744 : « Le cabinet de Pétersbourg, ayant à couvrir ses frontières de terre et de mer à la fois, ne peut pas mettre sur pied moins de huit à neuf cent mille hommes. Or, que l’on s’y prenne comme on voudra, une armée de neuf cent mille hommes en campagne représente une dépense annuelle d’au moins 900 millions de francs ; ajoutez l’entretien de quarante vaisseaux de ligne, avec l’accessoire des bâtimens légers et des navires à vapeur qui doivent être toujours prêts à prendre la mer, et vous arriverez sans peine au milliard. Supposez maintenant que la Russie ne prélève que 200 millions sur son revenu pour servir l’intérêt de sa dette et pour subvenir aux dépenses de l’administration civile, il faudra encore que le gouvernement, en dehors de son revenu ordinaire, se procure chaque année, pour soutenir la lutte, une somme de 500 millions !

« Cela est-il possible aujourd’hui ? Cela sera-t-il possible l’année prochaine ? En admettant que la Russie fournisse quelque temps les hommes, pourra-t-elle fournir l’argent ? Sous une forme ou sous une autre, la population de l’empire est-elle en état de payer chaque année au trésor un tribut additionnel et extraordinaire de 500 millions de francs ? Toute la question de la guerre est là, et je crois qu’il suffit de la poser pour la résoudre. »

Le budget militaire pour 1854, calculé sur un effectif de 800 à 900 mille hommes, a été porté à 84,200,000 roubles argent[1], et celui de la marine à 14,400,000 roubles, ce qui fait ensemble 98,600,000 roubles ou 394,400,000 fr, par conséquent moins des deux cinquièmes de la somme à laquelle M. Léon Faucher évalue la dépense totale pour l’armée et la marine. En admettant que l’effectif de l’armée fût porté à 1,250,000 hommes, ce qui supposerait une augmentation de 450,000 hommes, ou de 50 sur 100, et en ajoutant au budget militaire de 84,200,000 roubles, en somme ronde, largement comptée, 50 millions de roubles ou 200 millions de francs (ce qui fait 60 pour 100), cela ne porterait encore le total de la dépense, avec le budget de la marine, qu’à 594,400,000 fr, tandis que M. Léon Faucher l’évalue à 1 milliard. C’est ainsi qu’en augmentant, d’après une évaluation exagérée, les dépenses de la guerre, et en réduisant de 200 millions les revenus ordinaires de l’état, l’auteur porte à 500 millions le déficit annuel qui doit en résulter. Mais en admettant même que, par suite des dépenses extraordinaires et imprévues, ce déficit fût effectivement aussi considérable, ce qui n’est nullement le cas, nous, croyons connaître assez bien la situation financière de la Russie et les moyens dont elle peut disposer pour oser affirmer avec conviction qu’elle serait en état de le combler pendant plusieurs années moyennant ses ressources intérieures extraordinaires, et quand même elle serait dans le cas d’augmenter sa dette, pendant la durée de la guerre, d’un ou de deux milliards de francs, cette charge, quelque considérable qu’elle soit en elle-même, ne serait point en disproportion avec les ressources naturelles du pays et celles dont l’état peut disposer, vu les immenses propriétés qu’il possède[2].

  1. Cette somme, répartie sur une armée de 8 à 900,000 hommes, donne en moyenne environ 100 roubles ou 400 francs par tête, tandis que M. Léon Faucher compte probablement, d’après l’entretien du soldat français, 1,000 francs par tête.
  2. Voir sur ce sujet les données authentiques insérées dans la feuille déjà citée du Journal de Francfort du 9 juillet.