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facile du moment où Charles IV, rendu à la liberté, eut manifesté l’intention de reprendre la couronne et la ferme volonté de ne se séparer dans aucune circonstance de l’odieux favori qui lui était rendu. Cette illusion exista un moment à Rayonne, même parmi les grands d’Espagne et les nombreux personnages qui formaient la suite de Charles IV et de Ferdinand VII. Tout attristés que fussent en effet ceux-ci de l’attentat qui leur arrachait leurs princes, ils n’en avaient pas complètement mesuré l’effet sur l’opinion publique, et leur premier mouvement avait été d’accepter la dynastie choisie par un homme qu’on croyait alors assez fort pour l’imposer, en s’efforçant de faire sortir d’un changement réputé inévitable la régénération de leur malheureuse patrie par des institutions nouvelles.

Proclamé roi d’Espagne le 6 juin 1808, Joseph avait été salué en cette qualité à Bayonne, après le départ des princes espagnols, par leurs plus fidèles serviteurs; il avait conservé dans son conseil, sans éprouver un seul refus, les principaux ministres de Charles IV, et les plus grands personnages de la monarchie ne s’étaient pas refusés à composer sa cour. MM. Urquijo, Cevallos, O’ffarill, Azanza, Jovellanos, Mazaredo, étaient au nombre des ministres conservés, et ces ministres pronostiquaient au nouveau roi l’heureuse issue des premières difficultés; les ducs de l’Infantado, de Hijar, del Parque, beaucoup d’autres personnages qui allaient trois mois après fournir des chefs à la grande insurrection nationale, entouraient ce prince, et ne refusaient pas de sacrifier leur attachement personnel à l’œuvre réparatrice dont Joseph s’occupait avec ardeur depuis son arrivée à Bayonne. La nouvelle constitution avait été délibérée durant dix longues séances; elle tendait à donner des garanties à tous les intérêts qui en avaient manqué jusqu’alors, et à mettre l’administration de l’Espagne en harmonie avec la nôtre. Cette constitution reçut les plus honorables signatures, et le curieux portefeuille que nous a ouvert l’éditeur des Mémoires du roi Joseph contient de nombreuses lettres d’adhésion à cette royauté de la veille, au premier rang desquelles il est triste d’avoir à citer, comme exprimant les sentimens les plus cordiaux et les plus chaleureux, celle même du roi Ferdinand, si peu digne des héroïques efforts que son nom inspirait alors à sa patrie.

Durant quelques jours, et tant qu’il n’eut pas franchi la frontière, Joseph crut n’avoir pas changé de terrain, et se considéra comme appelé à continuer en Espagne l’œuvre qu’il avait à peu près terminée à Naples. Cette illusion était profonde comme l’erreur qui l’inspirait. La dynastie tenait dans les respects et les affections de toutes les classes de la société espagnole autant de place qu’elle en occupait peu dans le royaume des Deux-Siciles. Les turpitudes des