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ressentiront que médiocrement à l’avenir d’une guerre qui ferme déjà toutes les mers au pavillon de cette puissance. Il prétend ensuite que, dans le cas même où la Russie serait appelée à des efforts extraordinaires, les ressources de l’empire lui permettraient de faire face aux plus extrêmes nécessités. Ces assertions sont appuyées de quelques chiffres, dont il peut être à propos d’examiner la valeur, bien que M. Tegoborski les déclare authentiques.

L’apologiste des finances russes débute par une assertion hardie. L’emprunt nouveau, cette opération dont l’avortement est public en Europe, cette valeur dont les banquiers de Berlin n’ont pas voulu à 83, avec une prime de 17 pour 100 sur le capital nominal, n’a pas échoué, suivant M. de Tegoborski. Il veut bien nous apprendre que l’emprunt marche, et que les souscriptions ont atteint une somme assez considérable sur je ne sais quelles places de l’Allemagne et de la Hollande. Quelle est l’importance de cette somme ? M. de Tegoborski ne le dit pas. Avec une franchise dont il faut lui savoir gré, il éveille même la défiance et le doute, car c’est lui qui confesse que, si l’emprunt marche, ce n’est pas très rondement. Rayons donc cet article du catalogue des ressources financières : je suppose que ce n’est ni sur l’argent allemand ni sur l’or hollandais que compte l’empereur Nicolas pour fournir la campagne de 1855.

Après tout, n’y a-t-il pas quelque chose de bien étrange quand on a jeté un défi à l’Europe civilisée, quand on la brave, à venir solliciter une part des capitaux qu’elle tient en réserve, à lui demander son argent pour le convertir en bombes et en boulets ? Depuis vingt ans, la Russie emprunte périodiquement sur les marchés de Londres et d’Amsterdam, afin de couvrir le déficit que laisse dans son budget la permanence de ses préparatifs militaires. Elle pousse aujourd’hui l’assurance, la guerre étant déclarée et les hostilités commencées, jusqu’à renouveler ce manège, qui ne peut plus faire de dupes. Eh bien! la mine est éventée, et, nous le répétons, l’emprunt échoue.

Par forme de consolation pour l’amour-propre de son gouvernement, M. de Tegoborski nous signale la bonne tenue habituelle des fonds russes sur le marché de Londres. Il n’y a pas là cependant de quoi s’exalter beaucoup : le 4 et 1/2 russe est côté 85 ou 6 pour 100 au-dessous du 4 et 1/2 belge. L’empire moscovite ne prend pas, comme on voit, un rang fort élevé dans l’échelle du crédit.

Mais pourquoi s’adresser à l’étranger, si la Russie renferme toutes les ressources que passe en revue, avec tant de complaisance, l’imagination de M. de Tegoborski ? Que vous manque-t-il donc pour tenir tête aux nations occidentales, si vous avez de l’or chez vous comme vous avez du fer ? Sur ce point, qui domine pourtant le sujet, l’apologiste officiel, quoique placé à la source des renseignemens, prodigue les réticences. Ne lui demandez pas combien ont produit les dons volontaires, il répondra qu’il ne sait pas cela au juste, et que le total lui en est inconnu. Ne lui parlez pas de l’emprunt forcé, c’est une « fable inventée par les feuilles allemandes. » Comment! Les