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c’était en quelque sorte le moteur de toutes les transactions. Ce moteur disparaissant aujourd’hui, je ne donnerais pas grand’chose de la machine.

Sans doute, la Russie a fait des progrès, mais ce sont les progrès d’un pays pauvre. Comment peut-on nous vanter sérieusement la richesse d’une contrée qui est encore de tant de côtés un désert à défricher et à peupler! Eh quoi ! vous comptez à peine onze habitans par kilomètre carré; la vie moyenne chez vous n’est que de vingt ans, ce qui présente des ressources bien peu durables pour recruter de nombreuses armées; la bourgeoisie russe ne fait que de naître; la noblesse est endettée; les paysans en sont réduits à l’état de servage, ou vivent dans les liens d’un communisme qui est la pratique des plus immorales comme des plus sauvages théories; l’industrie est une œuvre artificielle éclose sous la protection des tarifs; l’agriculture, à l’exception du royaume de Pologne, se maintient dans les rudimens de l’état patriarcal. Les forêts, les steppes et les marais occupent les cinq sixièmes du territoire. Et vous imaginez qu’un sol aussi mal préparé vous fournira les moyens de lutter contre les puissances de l’Occident, qui ont en abondance tout ce qui vous manque ou vous manquera bientôt : des hommes et de l’argent ! Quelques chiffres que M. de Tegoborski tienne en réserve pour appuyer cette prétention, elle est de tous points insoutenable.

Il est vrai que l’organe du gouvernement russe ne se tient pas toujours à cette hauteur. Dans une autre partie de sa réponse, M. de Tegoborski cherche à démontrer que le trésor n’aura pas à faire des sacrifices aussi considérables, et qu’il lui suffira d’ajouter à l’effectif quatre cent mille hommes, aux dépenses 200 millions de francs. Nous contestons sans hésiter la base de ces calculs. M. de Tegoborski nous apprend que les évaluations du budget, en ce qui concerne les dépenses de la guerre et de la marine en 1854, s’élèvent à 394 millions pour un effectif de huit à neuf cent mille hommes. Or chacun sait la différence qui existe entre les prévisions et les faits. Quoique la Russie n’ait pas et n’ait jamais eu huit cent mille hommes sous les armes, elle n’a jamais comblé que par des emprunts le déficit que les dépenses de son état militaire amenaient dans son budget. Si le gouvernement prévoit 400 millions de dépenses ordinaires pour le chapitre des armemens, on peut mettre 500 millions sans crainte de se tromper. Quant aux quatre cent mille hommes dont M. de Tegoborski reconnaît qu’il faut augmenter l’effectif pour faire face aux nécessités de la guerre, nous ne saurions pas davantage adopter ses calculs, qui portent la dépense à 4 ou 500 francs par tête de soldat Ce n’est pas ici le lieu d’examiner ce que coûte à chaque puissance l’armée qu’elle entretient; mais personne n’admettra que, même en Russie, même en ne donnant pas de pantalons aux soldats, comme cela s’est vu dans l’armée du maréchal Paskiévitz en Hongrie, et au risque de voir le choléra emporter ces malheureux par milliers, cette dépense puisse descendre à 400 francs par tête. M. de Tegoborski oublie encore qu’un soldat en campagne coûte beaucoup plus qu’un soldat en garnison. L’Angleterre a dépensé 100 millions de francs à