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c’est-à-dire en remplissant fidèlement et ponctuellement les engagemens qu’elle contractait.

M. de Tegoborski veut-il dire que, la guerre s’échauffant et les affaires, par suite, étant en souffrance, le peuple russe ne fera pas ce que tout autre peuple ferait à sa place : qu’il continuera à verser de l’argent en dépôt dans les caisses publiques, au lieu de retirer les sommes qu’il a déposées, et que la confiance à l’abri de laquelle circulent 1,200 millions de billets de crédit en petites coupures ne sera pas altérée ? Cette prétention ne supporte pas l’examen. D’abord en fait, et de l’aveu de M. de Tegoborski lui-même, la somme des retraits, depuis la déclaration de guerre, dépasse de plusieurs millions de roubles (environ 24 millions de francs) celle des nouveaux dépôts. La gêne publique augmentant, les dépôts s’arrêteront nécessairement tout à fait, tandis que les retraits deviendront plus considérables et plus nombreux. Quand les déposans ne pourront plus vivre de leur revenu, il faudra bien qu’ils échancrent le capital.

Le gouvernement précipitera la crise lui-même. Il a déjà demandé, il demandera encore de l’argent aux contribuables, soit sous la forme de dons volontaires, soit sous celle d’impôts additionnels, soit sous celle de réquisitions. Or les contribuables, auxquels la guerre enlève les débouchés de leurs produits, n’amassent pas de capitaux et ne font pas d’économies. Comment pourront-ils répondre aux exigences du gouvernement sans retomber sur les établissemens de crédit et sans retirer les sommes qu’ils leur ont confiées ? Ces établissemens à leur tour, qui ont immobilisé ou prêté à l’état les valeurs dont ils étaient nantis, s’adresseront au gouvernement, qui est à la fois débiteur personnel et garant de la dette. Comment l’état remboursera-t-il ? Par une émission extraordinaire de billets de crédit ? Mais alors nous tombons dans le régime des assignats. Par une émission de rentes ? M. de Tegoborski y a pensé; mais d’abord cela ne donnera pas aux créanciers remboursés les moyens d’acquitter les nouveaux impôts : ce ne sera pas de l’argent; ensuite il est à craindre que, pour éviter une banqueroute totale, l’état ne fasse une banqueroute partielle, en livrant à ses créanciers des valeurs qui seront infailliblement dépréciées. On le voit, les gouvernemens despotiques, quand ils se trouvent dans l’embarras, ne procèdent pas autrement que les révolutions. C’est là ce que nous apercevons de plus clair dans la réponse du publiciste russe.

Un dernier mot. M. de Tegoborski, en terminant son apologie, nous fait remarquer qu’il n’est ni adroit ni prudent de dissimuler ou de rabaisser, de parti pris, les forces de ses adversaires. Cette tactique n’est pas à notre, usage. Nous ne cherchons pas à inspirer aux gouvernemens de l’Occident une fausse sécurité. Nous leur conseillerions bien plutôt d’exagérer la prévoyance et de multiplier les préparatifs. On gagne toujours à regarder les difficultés en face, à mesurer les moyens d’action à la grandeur des