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cette brillante cour qui suivit plus tard l’impulsion nationale sans l’avoir provoquée, Joseph écrivait trois jours après à l’empereur : « La situation des choses est telle que je me reproche le temps que j’ai perdu dans de misérables villages. Je me décide à partir pour Madrid par le chemin le plus court, pour y arriver le plus tôt possible. L’esprit est partout très mauvais[1]. » Le lendemain, il entrait à Vittoria, et l’aspect seul de cette ville constatait la profonde antipathie qu’on y éprouvait pour sa cause. A chaque heure, des désertions étaient signalées dans l’escorte royale. Les nouvelles des Asturies, de la Galice, de Valence, de l’Andalousie, ne permettaient plus de douter de l’immense étendue de la crise, et pendant que les masses le repoussaient par patriotisme, les fonctionnaires s’éloignaient par calcul.


« Sire, s’écriait déjà Joseph, personne n’a dit jusqu’ici toute la vérité à votre majesté. Le fait est qu’il n’y a pas un Espagnol qui se montre pour moi, excepté le petit nombre de personnes qui ont assisté à la junte et qui voyagent avec moi. Les autres, arrivés ici et dans les autres villages avant moi, se sont cachés, épouvantés par l’opinion unanime de leurs compatriotes... Je ne suis pas étonné de la gravité des circonstances; mais il est plus essentiel que jamais qu’il n’y ait qu’un centre d’autorité dans l’armée. Votre majesté est trop juste pour ne pas sentir que, dans une circonstance semblable, je dois avoir sa confiance tout entière et exclusive[2]. »


Quelques jours après, le roi atteignait Burgos, et quoique cette ville dût être encore sous l’impression de la victoire remportée quelques jours auparavant sur les insurgés à Medina del Rio-Seco par le maréchal Bessières, la situation n’apparaissait pas à Joseph sous des couleurs moins sombres.


« Partout où l’opposition n’est pas armée, elle est au moins passive et sourde. C’est au point que le maréchal Bessières était en présence d’une armée de quarante mille hommes sans s’en douter, que le général Merlin, que j’avais envoyé auprès de lui, n’a pu trouver un guide en offrant de l’or à pleines mains. Il parait que personne n’a voulu dire l’exacte vérité à votre majesté. La besogne taillée est très grande; pour en sortir avec honneur, il faut des moyens immenses. La peur ne me fait pas voir double. En quittant Naples, j’avais bien livré ma vie aux événemens les plus hasardeux. Depuis que je suis en Espagne, je me dis tous les jours : Ma vie est peu de chose et je vous l’abandonne; mais je ne peux vivre avec la honte attachée à l’insuccès : il faut de grands moyens en hommes et en argent... De quelque manière que se résolvent les affaires d’Espagne, son roi ne peut que gémir, puisqu’il faut conquérir par la force; mais enfin, puisque le sort en est jeté, faudrait-il rendre les déchiremens moins longs. Je ne suis point épouvanté de ma

  1. Joseph à Napoléon. Vergara, 11 juillet 1808.
  2. Joseph à Napoléon. Vittoria, 12 juillet 1808.