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l’avenir à l’époque où Fox commença à regarder d’un œil plus libre la situation de son pays. Une autre question s’était peu à peu emparée des esprits, la question américaine. Elle était posée depuis neuf ans; mais c’est en 1774, on peut le dire, que la rupture entre la métropole et ses colonies devint par le fait irréparable. C’est dans cette année même que Franklin comparut devant le conseil privé pour y voir attaquer sa personne avec une violence imprudente par le solliciteur général, et déclarer fausse et scandaleuse la pétition qu’il avait été chargé de présenter au nom de l’assemblée du Massachusetts. Le parlement, après avoir établi, puis aboli le droit de timbre aux colonies, l’avait remplacé par d’autres taxes, dont il maintenait une seule, celle sur le thé, comme pour conserver à dessein une cause de discorde. Boston répondait par la résistance ouverte, et pour punir la ville, on fermait son port, tandis qu’on révisait, pour l’altérer, la charte coloniale. C’était un prélude de guerre : le roi s’indignait que son autorité fût méconnue au-delà des mers. Par un point d’honneur qu’approuva longtemps la nation anglaise, il était résolu à ne souffrir jamais que les établissemens transatlantiques fussent soustraits à la puissance métropolitaine, encore moins détachés de l’empire britannique. Lord North partageait alors, quoique avec plus de lumières et de modération, les idées de son maître. Fils du comte de Guilford, dont la famille était toute imbue des principes des anciens tories, il en avait conservé l’héritage, et se vantait de n’avoir jamais voté en parlement pour une mesure populaire. C’était un homme qui ne manquait ni de jugement, ni de sang-froid, ni de persévérance : il savait les affaires et en parlait avec esprit; mais les grandes vues, la haute prévoyance, l’indépendance du caractère et de la conduite faisaient tristement défaut. Jusque-là, toutes les mesures irritantes prises contre l’Amérique l’avaient eu pour auteur ou pour défenseur. Il ne songeait pas encore à se départir d’un système de résistance à outrance, et quoique bien près d’apercevoir les dangers de la voie où il marchait, il était destiné à la suivre jusqu’au bout sans conviction ni colère, mais par respect pour ses propres antécédens, par crainte de paraître faible, et surtout par cette complaisance envers le prince que tant de gens prennent pour du dévouement.

Les élections de 1774 n’avaient fait que fortifier la majorité ministérielle; mais Fox entrait dans le nouveau parlement avec une liberté entière quant à la question d’Amérique. Par un hasard heureux, il ne s’était jamais sur ce point solennellement expliqué. La même année, il perdit son père, qui mourut sans avoir jamais réussi à obtenir la couronne de comte ni à réparer les brèches de sa fortune. Son fils aîné Stephen le suivit de près, laissant la pairie à un