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par ces manifestations calculées de radieuse confiance destinées à fasciner l’imagination des hommes : « Je pourrai trouver en Espagne les colonnes d’Hercule; je n’y rencontrerai pas les limites de mon pouvoir ! » mais il dut bientôt comprendre que son frère n’avait rien exagéré, et qu’il lui fallait, pour contenir l’Europe profondément émue d’un spectacle si nouveau, un immense effort militaire, soutenu du prestige de sa présence. A la fin de cette même année 1808, durant laquelle il s’était flatté d’avoir réglé à jamais les destinées de la Péninsule, il entrait en Espagne, conduisant la grande armée d’Austerlitz et d’Iéna, commandée par l’élite de ses maréchaux.

Le génie militaire de Napoléon obtint au-delà des Pyrénées le succès sur lequel il était en droit de toujours compter. Son armée défit les insurgés partout où ils se hasardèrent à se mesurer avec elle. L’empereur entra à Madrid victorieux, après avoir conquis deux cents lieues de terrain et pas une seule adhésion. Il y rétablit, après plusieurs semaines d’incertitude, l’autorité plus nominale qu’effective du roi Joseph, qu’on avait vu suivre le quartier impérial dans une attitude dont les humiliations et les angoisses n’avaient pas été adoucies, tant s’en faut, par les égards personnels de son frère. La première partie de la campagne de 1809 aurait eu sans doute sur le sort de ce pays une influence décisive, si l’on n’avait eu en face de soi un peuple plutôt qu’une armée. Ce peuple s’exaspérait autant par ses défaites qu’il s’exaltait par ses succès. Lorsque l’empereur quitta l’Espagne, il n’avait guère soumis d’ailleurs que les provinces qui s’étendent de la capitale à la frontière de France; il avait moins assuré à son frère la possibilité de régner que la possibilité de s’enfuir; il laissait les provinces du midi insurgées, les Anglais maîtres de la Galice, et il chargeait l’un de ses lieutenans d’en délivrer le nord du royaume et de les rejeter à la mer. C’était s’exposer à replacer, sous quelques jours, le roi Joseph dans une position presque semblable à celle dont l’intervention personnelle de Napoléon avait eu pour but de le tirer.

Déjà d’ailleurs l’empereur portait la peine de ses fautes, et les événemens auxquels il avait si longtemps commandé lui commandaient à leur tour. Dans la pensée que depuis les affaires d’Espagne la France avait cessé d’être invulnérable, l’Autriche avait pris les armes, espérant se venger d’Austerlitz au risque de rencontrer Wagram. L’empereur dut donc quitter soudainement la Péninsule, sans y avoir avancé l’œuvre de la conquête, et sans y avoir même ébauché celle de la pacification. Force lui fut de courir aux bords du Danube, d’où son destin devait, trois années plus tard, le porter sur ceux de la Moskowa, pour le rejeter bientôt après sur les bords du Rhin et