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diplomatique des deux secrétaires d’état fût parfaitement cordiale. Les négociations avaient commencé à Paris d’une manière non officielle par l’entremise d’un trafiquant écossais, Richard Oswald, qui était en relation avec Franklin. Il connaissait lord Shelburne, et il lui avait écrit spontanément pour lui rendre compte de ses conversations avec l’illustre représentant de l’Amérique insurgée. Le cabinet accueillit cette ouverture, et par ses ordres cette négociation se continua non pas à l’insu de Fox, mais un peu en dehors de sa direction. Un agent officiel, Thomas Grenville[1], avait été bientôt envoyé par lui pour traiter régulièrement. Franklin, dont la philanthropie s’alliait au patriotisme le plus intéressé, et la bonhomie à la plus rusée diplomatie, avait tiré parti de cette double négociation. L’inexpérience politique d’Oswald lui convenait, et il espérait beaucoup de la rivalité des deux agens et de leurs patrons respectifs. Il croyait et les historiens ont supposé jusqu’ici le ministère encore bien plus divisé qu’il ne l’était. Il soupçonnait les deux secrétaires d’état d’agir chacun pour son compte, sans se concerter ni informer leurs collègues. On voit par une lettre de M. de Lafayette[2] que le comte de Vergennes, Franklin et lui croyaient à un double jeu, et regardaient le cabinet de Londres comme livré à toutes les rivalités de l’intrigue. Il n’y avait rien au fond qu’une affaire mal engagée. Tout en souffrait; Grenville se plaignait d’être contrarié ou trompé par le correspondant de lord Shelburne, tout fier d’avoir la confidence de Franklin. Cet agent avait eu la simplicité de se charger de transmettre la demande d’une cession du Canada aux États-Unis. Fox en prenait ombrage, et sa défiance allait au-devant des soupçons de Grenville. M. Cornewall Lewis, qui a examiné diligemment toute cette affaire, a déclaré, dans le plus whig des recueils[3], que les griefs contre Shelburne, au sujet de la mission diplomatique d’Oswald, étaient sans fondement. Nous en jugeons comme lui; mais, justes ou non, la défiance et l’irritation étaient naturelles, et leurs effets inévitables.

Sur ces entrefaites, le marquis de Rockingham, qui était entré au pouvoir avec une santé profondément altérée, mourut (1er juillet 1782.) Sa succession, en s’ouvrant, achevait de décomposer le ministère. Fox n’aspirait pas à la première place, mais il pouvait prétendre à la donner. Le duc de Richmond était, à quelques égards, en mesure de l’obtenir; mais, exclu par son radicalisme en matière de réforme parlementaire, il s’attendait du moins à des offres que

  1. C’est celui qui a donné au British Museum la bibliothèque qui porte son nom.
  2. Mémoires, t. II, p. 30.
  3. Edinburgh Review de janvier 1854.