Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lever l’Angleterre en Europe. Il écrivait à lord Ossory : « Si l’on pouvait persuader Pitt, il pourrait rendre au pays le plus réel service que jamais homme lui ait rendu. »

Un cousin de Pitt, lord Temple, venait de quitter les fonctions de lord-lieutenant d’Irlande, et, selon l’usage, il demanda au roi une audience de pure étiquette. Il fut surpris d’être reçu avec des marques de faveur et un langage plein d’abandon. Le prince lui fit le plus grand éloge de Pitt, et lui déclara que ses ministres n’auraient jamais sa confiance, et qu’il saisirait le premier joint pour les congédier. Lord Temple lui conseilla de prendre patience, d’attendre que le public eût reconnu la vanité de leurs promesses de réforme, et plutôt que de les renvoyer, de les amener à donner leur démission. Dans ce dernier cas, lord Temple lui garantissait qu’il ne serait pas abandonné. Une sorte de complot fut ainsi ourdie par le roi contre son ministère. On assure que l’ancien chancelier, lord Thurlow, fut mis dans le secret, et il y aurait beaucoup d’innocence à croire que Pitt n’en sut rien. Ainsi s’engagea cette sourde guerre, que Johnson, le plus violent des tories, appelait une lutte entre le sceptre de George III et la langue de M. Fox.

Les actes du ministère ne purent de quelque temps fournir au roi l’occasion d’éclater. Les efforts de Fox pour améliorer les conditions de la paix, pour former avec la Prusse, la Hollande et même la Russie une opposition européenne à la France, purent être mal secondés par le roi, qui triomphait des disgrâces d’une paix conclue malgré lui. L’abaissement de l’Angleterre le vengeait de l’opposition; mais il n’avait rien à dire, et paraissait tranquille. La session se terminait sans rupture. Fox comptait beaucoup sur la session prochaine. L’écueil où il devait périr fut une mesure qui lui fait un véritable honneur.

Le bill de l’Inde n’était pas en effet une mesure de parti. L’opinion n’y était point préparée. Aucun intérêt de majorité, aucune exigence d’auxiliaires avides ou ambitieux, aucun engagement d’amour-propre ne forçait, ne poussait les ministres à entreprendre cette réforme. Une pensée de bien public et de bon gouvernement la leur inspirait seule. Lord Chatham avait conçu un projet analogue à l’époque de son second ministère, lorsqu’une maladie funeste vint le réduire à l’inaction et jeter une année de ténèbres dans sa vie. « Je regarde, disait-il au duc de Grafton, la mesure relative à l’Inde comme le plus grand des objets, si j’ai quelque sentiment de ce qui est grand. » Fox en jugea de même. C’était en effet une étrange anomalie, on peut dire une monstruosité politique, qu’une compagnie de marchands, établie pour gérer quelques factoreries, eût conquis et gouvernât un empire trois fois plus grand que le pays qui l’avait