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et que le dieu Moloch n’a dévoré d’enfans, ce sont des femmes qui ont lancé les traits les plus meurtriers. Les hommes ont saisi le côté grotesque ou odieux de la question, mais les femmes en ont saisi le côté douloureux. La religion sans âme, les étiquettes sociales, l’injustice mondaine, le bonheur insolent et sans pitié, l’activité brutale et sans dévouement de l’industrie, le foyer domestique sans tendresse, l’éducation hypocrite, la vie contemporaine enfin, avec ses labeurs desséchans, ses cruelles vulgarités et ses petitesses égoïstes, ont été exposés, expliqués et flétris avec cette fine analyse, cette indignation naïve et ces explosions de colère nerveuse qui sont propres à la nature féminine. Comptez les femmes américaines ou anglaises dont les écrits sont devenus populaires en quelques années, même hors de leur pays : mistress Stowe, miss Elisabeth Wetherell, mistress Gaskell, les trois miss Bronty. Et cette influence féminine n’a rien qui nous étonne, car les femmes possèdent la seule force morale qui nous reste et qui ait encore quelque action, je veux dire la force de l’instinct et du sentiment. Or cette force, dont l’homme se sert toujours d’une manière maladroite et souvent d’une manière ridicule, est au contraire le seul moyen d’action de la femme, le don spécial qui renferme en lui tout ce que la femme a d’admirable et de mauvais : la capacité de souffrir et la puissance de faire souffrir.

Il y a d’ailleurs une raison cachée qui agite peut-être à leur insu tous ces cœurs féminins et qui les pousse à l’assaut des vices contemporains. Puisque l’occasion s’en présente, il n’est pas hors de propos de dire quelques mots sur le rôle des femmes dans notre société, moins en vue de l’Amérique, où elles sont encore toute-puissantes, qu’en vue de l’Europe, où leur influence commence à décliner. Si les mœurs funestes qui s’étendent et se propagent de plus en plus parviennent définitivement à s’établir, ce sont les femmes qui en souffriront le plus : elles en souffrent déjà. Quelles sont donc ces mœurs nouvelles si menaçantes ? Pour répondre à cette question, il suffit de regarder quelle est la condition présente de la femme. Elle est reine et maîtresse encore en apparence, mais en apparence seulement; elle domine encore officiellement; quelques restes de vieux parfums chevaleresques, moisis et rancis, sont encore brûlés devant la belle idole, quelques faibles vestiges de respect suranné sont encore accordés à sa faiblesse. Au fond, elle a perdu son prestige moral et cette influence religieuse qui l’a faite libre pendant tant de siècles; elle commence à n’avoir plus d’empire sur les âmes. Tout son magnétisme ne peut vaincre les lourdes et grossières passions qu’excitent chez les hommes le coton brut et le 5 pour 100. La position que le christianisme et le moyen âge avaient