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ce nouvel hôte. Gerty multiplia les ruses et les stratagèmes, partagea avec lui ses maigres soupers, et arriva avant peu de temps à l’aimer à la folie. Elle s’attacha à la pauvre bête avec cette passion singulière et assez profonde que les enfans et les femmes ont pour les animaux gracieux et inoffensifs; mais le secret ne pouvait être toujours gardé, et le petit chat fut découvert. « A qui est ce chat, Gerty ? demanda Nan. — C’est le mien, répondit bravement Gerty. — Le vôtre ? depuis quand élevez-vous des chats ? » Et la vieille femme saisit le pauvre ami de Gerty et le plongea dans une marmite d’eau bouillante. Toute la colère naturelle à Gerty s’éveilla. « Immédiatement elle saisit une bûche et la lança de toutes ses forces contre Nan. Le coup était bien dirigé et frappa la vieille femme à la tête. Le sang jaillit de la blessure, mais Nan sentit à peine la douleur, tant sa fureur était grande contre l’enfant. Elle la prit par le bras, ouvrit la porte et la jeta dans la rue. — Vous n’infecterez plus ma maison, enfant du diable, dit-elle en rentrant et en laissant la petite fille au milieu du froid et de la nuit. »

Le vieux Trueman Flint, en faisant sa tournée habituelle, aperçut l’enfant, qui, circonstance caractéristique, poussait des cris perçans sans verser une larme, ainsi qu’il lui arrivait toujours dans ses momens de passion violente. Il la releva et l’interrogea sans que Gerty pût répondre à ces interrogations autre chose que ces deux mots : «Mon chat ! mon chat ! »

« — Quoi! le chat que je vous ai donné ? Eh bien ! l’avez-vous perdu ? il ne faut pas pleurer pour cela. Mais il fait froid, et il faut rentrer.

« — Oh ! elle ne me laisserait pas rentrer, dit Gerty, et je ne le voudrais pas, quand bien même elle le voudrait;

« — Qui ne voudrait pas vous laisser rentrer ? votre mère ?

« — Non, Nan Grant.

« — Qu’est-ce que Nan Grant ?

« — C’est l’horrible vieille scélérate qui a noyé mon chat dans l’eau bouillante.

« — Mais où est votre mère ?

« — Je n’en ai pas.

«— A qui appartenez-vous donc, pauvre petite créature ?

« — A personne.

« — Mais avec qui vivez-vous, et qui prend soin de vous ?

« — Oh ! je vivais avec Nan Grant, mais je la hais. Je lui ai jeté une bûche à la tête. Je voudrais l’avoir tuée.

« — Chut ! chut ! il ne faut pas dire de telles choses. Je vais aller la trouver, et je lui parlerai.

« True s’achemina vers la porte en s’efforçant d’entraîner Gerty avec lui; il trouva Nan Grant occupée à bander sa blessure. « Cette enfant ne m’appartient pas, lui dit la vieille femme; elle a demeuré longtemps ici. C’est la plus