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victoire d’Ocaña, qui prépara l’heureuse expédition conduite par Joseph au sein de l’Andalousie dans l’année 1810, fit faire à cette idée des progrès non équivoques. Enfin, si l’on en croit les singulières révélations faites vingt ans plus tard au prince exilé par le général Mina, exilé lui-même alors, les guérilleros les plus fameux et les hommes les plus considérables de l’insurrection auraient été sur le point de lui adresser des propositions dans ce sens, lorsqu’à la veille de la guerre de Russie, Napoléon rassemblait l’immense armée qu’on croyait appelée à agir sous ses ordres dans la Péninsule[1].

Durant la campagne de 1810, Joseph put nourrir quelques instans peut-être cette illusion, qui consolait sa vie, qu’un jour viendrait où il pourrait servir d’intermédiaire entre la conquête française et la nationalité espagnole. Ce rôle aurait été bien difficile dans tous les temps, mais il était rendu complètement impossible par la manière dont l’empereur comprenait les devoirs de son frère dans le pays qu’il voulait bien, on ne sait trop pourquoi, consentir à nommer son royaume.

Durant cette excursion dans les provinces méridionales, qui fut le plus brillant épisode de la vie militaire de Joseph, ce prince entra à la tête de l’armée française victorieuse à Séville, à Cordoue, à Grenade, à Malaga, et s’y présenta moins en conquérant qu’en pacificateur. Il répétait partout ces paroles, solennellement prononcées au jour de sa proclamation comme roi d’Espagne : Mes premiers devoirs seront pour l’Espagne. J’aime la France comme ma famille, l’Espagne comme ma religion. Je suis attaché à l’une par les affections de mon cœur, à l’autre par ma conscience.

Lorsque Joseph jurait d’abdiquer la couronne que la volonté de son frère avait placée sur son front, s’il ne pouvait la porter avec honneur, ces chaleureuses affirmations étaient parfois applaudies, même au sein des populations les plus hostiles, parce qu’on y voyait une sorte de protestation contre des bruits de partage de la monarchie catholique chaque jour propagés par la presse anglaise, et qui n’étaient malheureusement que trop fondés. Pendant que Joseph adressait à Paris les bulletins de ses succès, on y préparait en effet une mesure qui ne laissait guère de doute sur les intentions menaçantes de l’empereur, et ces actes allaient placer le roi Joseph dans une situation d’autant plus humiliante vis-à-vis de ses nouveaux

  1. « A midi, je reçois M. O’Meara et avec lui le général Mina. Il reste tête à tête avec moi jusqu’à deux heures; il m’apprend qu’en 1812 lui, l’Infantado, Ballesteros, Montijo, étaient d’accord pour me reconnaître roi d’Espagne, si l’empereur eût consenti à retirer les troupes françaises. Il m’a dit aussi que j’avais entièrement acquis l’opinion de l’Empecinado, qui était prêt à faire cause commune avec eux pour moi, etc. » (lettre de Joseph. Londres, 16 janvier 1834, tome X.)