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avec son frère, il ranimerait en son cœur une tendresse refroidie, mais non éteinte, il voulut lui faire connaître lui-même la vérité sur la Péninsule et sur ceux d’entre ses lieutenans qui s’y préparaient une grande fortune politique pour toutes les éventualités de l’avenir. En 1811, Joseph fit donc une apparition à Paris. Il en repartit avec la promesse qu’il ne serait pas donné suite aux premiers projets de partage, et avec l’assurance non moins précieuse d’un subside mensuel indispensable pour payer ses serviteurs et sustenter sa maison, car ce prince avait été contraint plus d’une fois, pour faire face à ses premiers besoins, de vendre son argenterie et jusqu’aux vases sacrés de sa chapelle; mais le million promis cessa bientôt d’être payé, et des renseignemens puisés aux plus hautes sources laissèrent croire au roi qu’on se préparait à Paris à décréter l’annexion de la Catalogne à l’empire. Au vrai, l’empereur n’avait relativement à l’Espagne aucun projet arrêté; il reportait le plus rarement possible sa pensée sur ce pays, où s’engloutissaient et ses trésors et ses armées, et sans avoir le courage d’une résolution décisive, il avait l’instinct confus de difficultés insurmontables. Un tel état d’esprit le prédisposait à l’amertume et à l’injustice; Joseph ne tarda pas à l’éprouver, et ne remporta de son court séjour en France que le bonheur de contempler pour la dernière fois son glorieux frère au sein de sa puissance et d’une prospérité qui ne s’était pas encore démentie. Si le commandement général des armées, qu’il recouvra en 1812, fut une satisfaction d’amour-propre, cette satisfaction fut à peu près stérile, car aucun des maréchaux ne subordonna ses opérations aux ordres du roi, tous se préoccupant exclusivement de dégager près de l’empereur leur responsabilité personnelle. L’Espagne était une terre maudite où l’on combattait loin de l’œil et de la faveur du maître, et où l’on n’avait que la triste consolation de s’accuser les uns les autres.

Il était trop tard d’ailleurs, et le sort de ce pays venait de se décider sur les bords de la Bérésina bien plus que sur le champ de bataille des Arapyles. Dès l’année 1813, Joseph n’eut plus à combattre pour son trône, mais pour la France. Retarder l’invasion de nos frontières méridionales par l’armée anglo-espagnole aux ordres de lord Wellington, telle devint sa seule pensée, et tel fut son seul devoir.

Ainsi finit simultanément aux bords de l’Èbre et aux bords du Rhin, devant le soulèvement des peuples, ce rêve de suprématie européenne auquel l’empire avait sacrifié des destinées si glorieuses et si faciles. Si un prince fut jamais en mesure de faire accepter un pareil système aux populations auxquelles il était imposé, ce fut assurément Joseph; il y convenait par sa parfaite honnêteté autant que