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compter que la Russie viendrait à son secours avec toutes ses forces.

L’empereur Nicolas enlevait par ces propositions leurs dernières illusions à ceux qui croyaient encore à ses intentions pacifiques. Il annonçait franchement qu’il voulait la guerre, et dans cette guerre il demandait à l’Allemagne, sous le faux nom de neutralité, une connivence réelle et un véritable traité d’alliance défensive. Ces propositions étaient en outre présentées sous une forme comminatoire. Le fond et la forme des ouvertures russes révoltèrent également le roi Frédéric-Guillaume. Les procédés de M. de Budberg fortifièrent encore ses répugnances et accrurent son irritation. M. de Budberg commit deux fautes : il eut recours à la ruse et à la menace; il voulut tromper et intimider. Il affirma au roi que l’adhésion du cabinet de Vienne au protocole russe était assurée; l’artifice était grossier, et M. de Budberg en avait lui-même déjoué d’avance l’effet, car il avait dit à ses amis de la cour, et le roi le savait, qu’il fallait l’emporter promptement à Berlin pour entraîner M. de Buol, dont on doutait. Il réclama le consentement du roi avec des argumens offensans; il s’emporta jusqu’à lui dire que c’était à l’empereur Nicolas qu’il devait la conservation de sa couronne. Le roi fut obligé de lui imposer silence et prononça un refus absolu. M. de Manteuffel déclina les ouvertures russes par deux dépêches adressées le 31 janvier à M. de Rochow, ministre de Prusse à Pétersbourg. Il y disait que le protocole du 5 décembre et les négociations qui en étaient la suite avaient créé entre les quatre puissances réunies dans la conférence de Vienne un lien dont la Prusse n’était plus libre de se délier. Le roi de Prusse devait donc attendre la réponse que ferait le cabinet de Pétersbourg aux travaux de la conférence; en aucun cas, il ne pouvait retirer sa coopération à l’œuvre qu’il avait commencée avec les autres puissances, de peur de sacrifier le fruit de leurs efforts. Proclamer une neutralité armée entre l’Autriche, la Prusse et la Russie eût été d’ailleurs se lier les mains en vue d’éventualités dont on ne pouvait prévoir la portée. M. de Manteuffel faisait en effet ressortir que, par le projet russe relatif à une triple alliance défensive sous une forme déguisée, on exigeait réellement de la Prusse le concours auquel on prétendait cependant renoncer. Le ministre prussien relevait enfin avec dignité l’insinuation menaçante de M. de Nesselrode sur les périls révolutionnaires qu’aurait courus l’Allemagne. Si la Russie n’avait pas à redouter l’esprit de révolution, la Prusse, disait M. de Manteuffel, avait montré qu’elle savait le comprimer chez elle sans assistance étrangère. Le roi écrivit en même temps à son beaufrère une lettre autographe pour annoncer et motiver son refus.

Le dépit que l’on ressentit à Pétersbourg de l’échec de cette tentative se conçoit facilement. La Prusse fut traitée un peu comme le