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lesquelles, pour toutes les choses qui ne seraient pas convenues en commun, conserveraient leur liberté d’action. La seconde dépêche, d’un caractère confidentiel, disait que si le cabinet de Vienne voulait signer la convention particulière déclinée par le cabinet de Berlin, la Prusse ne le trouverait point mauvais, et que si l’Autriche était menacée par la Russie, elle pouvait compter sur le concours matériel de la Prusse. Les deux dépêches étaient remplies d’assurances sur la volonté qu’avait le cabinet de Berlin de persévérer dans la ligne de conduite à laquelle il avait conformé jusque-là tous ses actes.

Après avoir rempli cette formalité vis-à-vis du cabinet de Vienne, qui lui avait présenté la convention, le roi voulut se mettre également en règle envers l’Angleterre et la France. Le général de Groeben fut envoyé à Londres, le prince de Hohenzollern à Paris. Quelques jours après, le colonel de Manteuffel, cousin du premier ministre, fut expédié à Munich, où se trouvait l’empereur François-Joseph, et fut chargé de lui porter, avec une lettre autographe, les ouvertures du roi pour arriver à un arrangement particulier avec l’Autriche. Puis Frédéric-Guillaume envoya le général Lindheim à Pétersbourg, en le chargeant également pour l’empereur d’une lettre autographe où il exposait, dit-on, dans les termes les plus pressans, son plan d’arrangement basé sur l’émancipation des rayas. Enfin, tandis que ces envoyés extraordinaires étaient ainsi lancés sur les grandes routes de l’Europe, les chambres furent saisies en quelque sorte de la politique du gouvernement dans la question d’Orient par la présentation de l’emprunt.

On était au milieu de mars. La crise avait retenti dans les chambres. La vérité sur la situation transpirait dans le pays. On commençait à se douter que la neutralité était la devise de la nouvelle politique du roi; c’était à un projet de neutralité allemande que l’on attribuait la mission du colonel de Manteuffel à Munich, et l’on voyait M. de Budberg, le parti russe, la Gazette de la Croix, s’emparer de cette idée de neutralité et la proclamer comme un mot d’ordre. Le bon sens public comprenait que ces professions de neutralité étaient maintenant incompatibles avec une politique conséquente et indépendante pour la Prusse. Évidemment il n’est plus permis de se dire neutre quand dans un conflit on a, par des actes publics, donné raison à l’une des parties et tort à l’autre. La Prusse pouvait sans doute, par des motifs particuliers, s’abstenir encore d’employer les mêmes moyens d’action que les puissances occidentales pour redresser les torts de la Russie; mais cette abstention ne pouvait prendre le nom de neutralité sans changer de caractère.