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commanda pour onze heures précises un plat de poisson, une salade de légumes, et beaucoup de fraises. Trois mots et quelques signes lui suffirent à conclure cette grande affaire. — C’est assez, me dit-il pour un souper impromptu ; occupons-nous maintenant du choix de convives. Nous trouverons près d’ici une des plus jolies demoiselles de comptoir de tout Palerme. Afin qu’on ne nous soupçonne pas de préméditation, vous marchanderez quelque chose, comme une cravate ou un foulard. Dix heures vont sonner ; on remettra le marché à demain. Je déteste les dépenses inutiles.

Nous entrâmes dans un petit magasin de soieries. Tandis que la padrona me montrait des cravates, don Cornelio s’approcha d’une jeune fille remarquablement belle, et, quittant le langage télégraphique, il se mit à chuchotter avec une volubilité prodigieuse. La demoiselle paraissait indécise.

— Seigneur Cornelio, dit la padrona, qui avait l’oreille fine, cela ne se peut pas. Zullina est une fille sage ; elle n’ira pas souper chez un garçon, à moins d’être sûre qu’elle y trouvera de la compagnie et encore il faudrait savoir quelles seront les autres personnes invitées.

— Je vous attendais là, répondit Cornelio. Nous avons déjà trois dames : premièrement, la signora Stefanina de Messine, renommée pour son extrême prudence ; secondement, Rosina, la petite Catanaise, que vous connaissez bien ; enfin la maîtresse du marquis ***, celle que nous appelons Fillidi, parce que ses vertus ont été célébrées en vers[1]. Ce seigneur français, en sa qualité de témoin, peut certifier la vérité de mes paroles.

Mon silence passa pour une attestation.

— Mais, dit la jeune fille, croyez-vous que la signora Fillidi voudra souper avec moi ?

— Pourquoi donc pas ? demanda don Cornelio. Elle achète des robes ; vous en vendez. Est-ce une raison de ne point s’asseoir à la même table ?

— Le marquis est fier.

— Il n’en saura rien, et d’ailleurs Fillidi ne lui ressemble pas. Comme dit le proverbe : « Autre chose pense le mulet que celui qui le monte. »

— Taisez-vous, Dragutto, dit la padrona en riant, vous êtes un mauvais sujet. Et qui aurez-vous en hommes ?

— Un seul, ce seigneur français. Il s’ennuyait au théâtre, et le prince P… m’a chargé de le divertir un peu.

— Oh ! c’est différent.

  1. Fillidi est la traduction de Philis en dialecte sicilien.