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ébranler la maison, m’apprirent que l’effraction avait réussi. La lumière s’éteignit, et je vis arriver Cornelio donnant le bras à une figure blanche encapuchonnée dans un châle de mousseline de laine.

— L’infante est délivrée, dit le seigneur Dragut. Belle Fillidi réfugiez-vous chez moi, tandis que nous irons au café commander des glaces.

La dame fit un rire mélodieux et partit en courant. Mon guide me conduisit dans un café de la rue Cassaro. Deux énormes chauves-souris voltigeaient autour du lustre sans que personne y prît garde.

— Après avoir enlevé la colombe, me dit Cornelio, il serait bon de la remplacer par une chauve-souris. Gageons que vous ne savez pas comment se pratique la chasse au pipistrello. Pour abattre l’animal, il suffit d’effleurer le bout de ses ailes, car le moindre choc lui fait perdre l’équilibre. La difficulté est de le toucher, vu l’agilité singulière avec laquelle il évite tout objet qui vient à sa rencontre ; mais il ne pare pas aussi bien le coup qui lui arrive par derrière. Observez la manœuvre.

Cornelio monta sur une chaise et fit tourner sa canne avec une vitesse croissante, de manière à poursuivre une des chauves-souris, pendant l’espace d’un quart de cercle, à chacune de ses évolutions. Vers le cinquième ou sixième tour, la vitesse de la canne surpassa celle du vol, et le pauvre pipisirello, légèrement touché, tomba sur le plancher. Il avait plus d’un pied d’envergure. Le chasseur acheva sa victime, et l’ensevelit dans un numéro de la Gazette des Deux-Siciles.

— Tout à l’heure, me dit-il avec une joie d’écolier, j’enverrai le mousse de mon iachetto (yacht) clouer ce monstre fantastique sur la porte du marquis, afin qu’il reconnaisse les traces de Dragut. Ce sera comme la signature de l’auteur, et cette leçon lui profitera. Le pauvre homme se couvre de ridicule en voulant jouer le personnage de jaloux sans amour. La jalousie est chose sérieuse, et je lui apprendrai à la respecter.

Nous sortîmes du café suivis d’un garçon portant sur sa tête une pyramide de glaces à tutti frutti. Don Cornelio occupait dans la rue Nuova le second étage d’un véritable palais. Son appartement eût été fort beau si la pénurie des meubles n’en eût fait ressortir la grandeur démesurée. Dans le salon, un charmant tableau de Novelli, représentant la Vierge et sainte Elisabeth, avait pour pendant un trophée d’ustensiles de marine et de pêche. La belle Zullina et la signera Fillidi, assises sur un canapé recouvert en crin, causaient ensemble sur le pied de l’égalité la plus parfaite. Le mousse, que ces dames avaient réveillé, s’était affublé d’une veste à galons, et mettait le couvert dans la salle à manger. Un coup de sonnette retentissant