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jours étaient des nuits : je l’ai rendu à la lumière. Et puis mes yeux sont deux étoiles qui lancent des feux mourans, et ces feux mourans font mourir celui qui les regarde. Hé ! que pensez-vous de cette nouvelle manière de parler ? quand donc a-t-on tenu pareil langage à une femme ?

— Cent millions de fois ! répondis-je en colère.

— Le dépit vous égare, reprit Aurélia ; je le conçois et je vous excuse. D’où vient qu’en lisant ces trente-deux strophes j’éprouvais comme un vertige de plaisir, si bien qu’à la dernière les idées tournoyaient dans ma pauvre tête, et que je fermais les yeux comme si une épée flamboyante eût passé devant mon visage ? Ce fut bien autre chose quand je les entendis réciter à l’auteur lui-même. Et ne croyez pas que le poète m’appelle Aurélia, quoique ce soit mon nom ; il me donne celui de Cloridi, pensant que je saurai percer ce voile mystérieux, et il ne s’est pas trompé. A-t-on jamais appelé une femme Cloridi, quand son nom était Aurélia ?

— On l’a fait si souvent, dis-je, qu’en France ces fadaises sont connues sous le nom de bouquets à Chloris.

— Oh ! dans ce cas, poursuivit Aurélia, il eût été impardonnable à moi de ne point percer le voile. Que la ruse est ingénieuse, et qu’il a d’esprit le gentil rimeur ! De bonne foi, je vous le demande, à moins d’être folle et aveugle, pourrais-je ne pas l’aimer ? Il résulte de tout cela, mon bon Cornelio, que vous ferez bien de ne plus songer à moi. La poésie, que j’avais offensée, a repris ses droits.

— Vous en parlez à votre aise, m’écriai-je, fille ingrate et frivole ! Croyez-vous que ce soit une chose facile que devons oublier ?

— Oui, cela est facile à un cœur généreux et dévoué comme le vôtre. D’ailleurs votre sacrifice fera le bonheur d’un aimable garçon dont je vous ai entendu louer le mérite et les qualités.

— Je l’écraserai, dis-je en frappant du pied, je l’écraserai comme une vipère, ce petit traître de Pippino.

Deux jets de larmes sortirent tout à coup des yeux d’Aurelia.

— Seigneur Dieu ! s’écria-t-elle, voilà ce que je craignais, la jalousie, la vengeance. Écraser son meilleur ami ! le cœur de bronze ! Et moi aussi, sans doute, il voudra me tuer ! Ah ! cher Cornelio, si vous avez résolu de nous assassiner tous deux, avertissez-moi quelques jours d’avance. Sainte Vierge ! faut-il déjà mourir pour une faute si légère !

Aurélia pleurait à étouffer ; les sanglots lui étaient la parole, et je voyais une attaque de nerfs se préparer. Je lui pris les mains en lui disant : — Calmez-vous, je ne tuerai personne.

Les larmes s’arrêtèrent subitement. — Vous me faites grâce de la vie, dit-elle, et aussi à Pippino ? Vous le jurez ?