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L’Europe, où grandit l’âme, à nos urnes s’abreuve;
Nous portons notre sève aux Celtes, aux Germains.
Chaque peuple, à nos pieds, reçoit de nous son fleuve
Et le bois des vaisseaux façonné de nos mains.

En vain l’Himalaya mit le vieux Gange au monde.
Et vit les fils du ciel descendre et s’y baigner :
Les hommes et les dieux qui sont nés de notre onde
Sont forts entre les forts et seuls doivent régner.

Nous avons donné l’âme à des races guerrières
Que nous berçons encor sous les chênes gaulois;
Nous sommes les autels d’où montent leurs prières;
Nous sommes les remparts de leurs antiques lois.

Chez nos rudes pasteurs nourris d’orge et de seigle
Naquit la liberté, cet enfant des hauts lieux;
Et c’est là, dans le nid du chamois et de l’aigle,
Qu’elle viendra mourir quand vous serez trop vieux.

Si vos lâches cités l’accusent de leurs fautes.
Sous notre dernier chêne elle aura son autel;
Car nous resterons, nous dont les dieux sont les hôtes,
Fières d’avoir tendu l’arc de Guillaume Tell.

Toi donc, puisqu’il te faut un sol chaste, un air libre,
Viens et fuis les bas lieux et leur souffle grossier;
Si ton corps amolli veut retremper sa fibre.
Viens le frotter de neige au sommet du glacier.

Viens réveiller ton âme aux sources éternelles,
Toi, somnolent rêveur par la ville engourdi !
L’Alpe, fille du ciel, de ses blanches mamelles
Verse un fait généreux qui fait le cœur hardi.

Viens ! si tu veux monter au niveau de ton rêve
Et gravir l’idéal par son échelle d’or.
Nous prenons dans nos mains l’âme qui se soulève.
Et l’emportons vers lui d’un invincible essor.

De nos premiers parvis tout roses de bruyères
Monte aux créneaux d’argent perdus dans le ciel bleu;
C’est là, de nos fronts purs, que l’aigle et la prière
S’élancent dans leur vol. vers le soleil et Dieu.

Sur nos mille degrés qui mènent à son trône
Fleurissent les moissons dont ton âme a besoin,