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différence des genres sa fantasque imagination n’en saurait tenir compte, et dans ses fragmens poétiques, dans ses moindres boutades, comme dans ses œuvres réputées les plus sérieuses, nous retrouvons tout l’homme. Dans la philosophie de la nature, Goethe fut son maître ; pour le reste, il ne s’inspira que de son romantisme inné et de cette corde de la tradition populaire dont la constante vibration se répercute dans tous les échos de ses chants, de ses récits et de ses drames. Après avoir débuté par une théorie des phénomènes de l’électricité, qui se rattache aux idées naturalistes de Kant sur la dynamique, et rompu sa première lance en se déclarant pour une force créatrice contre les partisans du mécanisme matérialiste, Arnim publie les Révélations d’Ariel (Ariel’s Offenbarungen), confidences ou plutôt effusions d’une âme dont le lyrisme déborde, et les Aventures amoureuses de Hollin (Hollin’s Liebeleben), qu’il devait reprendre plus tard pour en faire un des plus intéressans épisodes de la Comtesse Dolorès. Puis, l’histoire et la poésie le sollicitant à la fois, il va de Percy à Froissart, et en même temps qu’il traduit et commente notre vieux chroniqueur, il compose, avec Clément Brentano, son beau-frère, le Knaben-Wunderhorn, ce précieux reliquaire des plus rares joyaux de la vieille muse allemande, ce monde de poésie et de science où les générations nouvelles devaient recueillir tant de germes féconds dans les champs du passé. Je passe sur le Wintergarten, mélange de prose et de vers, sur la Vie de Jacob Boehm, puissante étude à la Rembrandt, et j’arrive à ses drames. — Mais ici, je m’arrête, car j’en voudrais parler tout à mon aise, puisque c’est là surtout qu’Arnim donne libre cours au torrent impétueux de son génie. Que d’autres occupent la plaine, que les Kotzebue et les Raupach établissent leur théâtre sur le champ de foire où s’attroupent les gens désœuvrés ! Il lui faut, à lui, le pic sauvage et désert, la forêt immense, pleine d’épouvante et d’harmonie, de périls et de fêtes, où la voix de la cascade en pleurs se mêle au bruit du vent, aux grondemens de la foudre, où l’abîme s’ouvre au pied de l’arbre que mille oiseaux enchantent de leurs concerts.


HENRI BLAZE DE BURY.