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UN TOUR


AUX NEILGERRHIES





Ottacommund, avril 1853.


Je te vois d’ici, mon vieil ami, épeler à sept reprises le nom bizarre inscrit en manière d’épigraphe en tête de cette lettre, et te figurer, en désespoir de cause et de géographie, que les destins contraires m’ont conduit prisonnier dans quelque cité chinoise ou cochinchinoise. Calme tes craintes à cet endroit, et ne me vois ni rôti, ni bouilli, ni même empalé par les habitans du Céleste-Empire ou leurs voisins : je suis en pleine civilisation, dans un très-bon hôtel, un peu haut il est vrai; mais l’air qu’on y respire n’en est que plus pur. Je n’ai pas écrit six lignes que déjà je me laisse aller à une digression, car j’aurai mille occasions de te faire connaître les lieux où ton ami respire, dans le véritable volume que je veux te dédier : cent pages au moins d’études de mœurs, d’aperçus piquans, d’aventures romanesques, car il y a du romanesque aussi dans mon histoire ! Mais sortiront-elles un jour des limbes de mon cerveau pour passer sur le papier? Là est la question, comme dit Hamlet. Quoi qu’il en soit, je règle a priori l’arriéré de notre correspondance, et te donne le résumé de ma vie depuis ma dernière lettre. De quand date-t-elle? — De Paris, vieille de trois ans, une invitation à dîner, si j’ai bonne mémoire.

J’arrive au fait : fatigué des incessantes chaleurs du Bengale, condamné à l’inaction pour quatre mois au moins, jusqu’à l’arrivée d’Europe des nouveaux papiers nécessaires à la liquidation que je